Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dernières Séances
3 juillet 2011

The Tree of Life, de Terrence Malick

tree_of_life_poster_3_28_11DH

  

"The only way to be happy is to love. Unless you love, your life will flash by. [...]
Help each other. Love everyone. Every leaf. Every ray of light. Forgive."


Il semble impossible d'envisager un seul instant aborder The Tree of Life comme on évoque le tout-venant du cinéma qui atteint nos écrans chaque semaine, films-vaguelettes qui n'appartiennent pas au même univers créatif que cette oeuvre-somme, à la fois intimidante et rassurante, troublante et caressante, impressionnante et familière. Le langage usuel paraît insuffisant et inadapté pour traduire le souffle qui s'en dégage. Il devient nécessaire de tordre le lexique, d'agencer les mots sous une tournure inhabituelle, de rompre la syntaxe ordinaire pour approcher au mieux les émotions ressenties, pour partager le bien-être éprouvé, l'harmonie avec l'univers vécue dans sa propre chair.

  

Tree_of_Life_Movie_Poster

 

Dans un monde gangréné, usé, vicié par un consumérisme délirant, par le toujours-plus-vite, par le mépris et le rejet cynique de toute forme de croyance, de spiritualité ou de contemplation, de méditation, par l'asservissement de la Nature à un anthropocentrisme écoeurant, "The Tree of Life" se dresse, arbre-film majestueux et unique dans le monde artistique, à contre-courant de toutes les modes, de tous les styles, de tous les clichés du moment. C'est un éloge de la "naïveté", que les esprits chagrins prendront dans son acception péjorative : Terrence Malick est un réalisateur "naïf" au sens initial et positif du terme, il observe le monde avec une simplicité naturelle et désarmante, sans apprêt, vrai cinéaste de la pureté, de la beauté et de la magie originelle du cinéma, il lui rend toute sa grâce et sa poésie premières.

  

19731079_jpg_r_760_x_f_jpg_q_x_20110504_031914

  

Le grand oeuvre de Terrence Malick est d'abord une éblouissante et confondante nuée de souvenirs d'enfance filtrés par une mémoire fluctuante, la fidèle traduction de la mystérieuse sélection opérée par notre inconscient au sein du flot d'émotions et d'événements qui nous ont bercés et nous ont construits. Jamais sans doute enfance ordinaire ne fut évoquée aussi justement qu'à travers ce voyage sensoriel dans l'espace mémoriel d'un individu dont le film embrasse et adopte le point de vue intégralement. Chacun saura se retrouver dans cette peinture d'une enfance où s'entremêlent de manière kaléidoscopique des courses-poursuites filmées par une caméra au diapason, légère, nerveuse et virevoltante, des jeux d'une bande de garçons saisis au naturel, des reconstructions mentales de la rencontre des parents, de vagues réminiscences d'instants fuyants, balades dans les rues, répétitions de piano, instants solennels de la vie de famille.

  

19731064_jpg_r_760_x_f_jpg_q_x_20110504_031744

 

Malick réinvente une narration impressionniste, brossant par petites touches un passé lointain qui s'efface et d'où n'émergent que quelques images, vestiges d'une mémoire sélective, incomplète et parcellaire qui juxtapose dans le flot reconstruit des souvenirs, sans donner davantage d'importance aux uns ou aux autres, des éléments banals ou anecdotiques (repas de famille, courses en ville), des instants jalons (les arrivées de petits frères dans le noyau familial, la plantation d'un arbre), des madeleines proustiennes purement sensorielles (le jeu des rayons du soleil, le froid humide d'un glaçon déposé sur la peau au réveil), et aussi des épisodes indéniablement plus dramatiques mais filmés comme "en sourdine" pour en atténuer l'impact et suggérer le voile du temps qui les a adoucis tout en les laissant pourtant pregnants : une crise d'épilepsie violente d'un passant auprès de la maison familiale, un tragique incendie qui laisse un enfant défiguré, l'arrestation de pauvres bougres coupables d'on ne sait quel délit, la noyade d'un gamin à la piscine municipale, autant d'incidents et de tragédies qui émaillent les existences et teintent nos parcours personnels.

 

19731059_jpg_r_760_x_f_jpg_q_x_20110504_031742

 

Par cette seule évocation d'un passé tamisé par le prisme du temps, Terrence Malick atteint déjà la Grâce, capable de retranscrire à l'écran ces moments fugaces et indéfinis, ces sentiments fugitifs et indicibles, ces instants fragiles et éphémères qui forment et structurent toute vie. Sa narration des temps morts, de ces moments que l'on juge parfois inutiles ou perdus mais qui recèlent pourtant ce qui nous est essentiel, va évidemment à l'encontre d'un cinéma basé sur une suite ininterrompue de moments forts. Loin d'avoir refusé toute intrusion d'épisodes de cette nature dans son scénario (les incidents et tragédies évoqués plus haut), Malick les intègre au contraire sereinement dans sa trame narrative, en ne versant jamais dans le sensationnalisme à outrance. Une scène illustre parfaitement ce parti pris esthétique : l'annonce par une simple lettre, au contenu invisible à l'image, du drame qui va secouer et fragiliser la famille du narrateur principal en transformant les retours en arrière en évocation d'un paradis perdu de l'enfance. La subtilité du réalisateur envahit alors l'image : nul cri de douleur assourdissant, aucun dialogue rempli de pathos, pas de larmes versées indéfiniment, mais le cinéaste préfère communiquer cette souffrance ultime par la simple magie de sa mise en scène, en décadrant ses prises de vue lorsqu'il filme la mère, en la montrant comme une femme déchirée et effondrée par un montage qui la morcèle et la découpe littéralement, en couvrant les inflexions de sa voix par une musique pudique comme il étouffera les gémissements et les pleurs du père en les couvrant par les vrombissements d'un moteur d'avion, avant de le filmer éteint au bord de la piste d'envol, éclairé par les derniers feux d'un soleil agonisant.

 

the_tree_of_life_poster

 

Ce personnage du père, dont Brad Pitt incarne parfaitement l'ambition enterrée et la frustration rentrée, est bien plus riche et passionnant qu'on ne le soupçonne au premier regard. Loin d'être limité à une simple figure paternelle d'une autorité excessive, c'est un être pétri de doutes, de regrets, de blessures professionnelles et personnelles, un homme qui souhaite personnifier la figure d'un chef de famille respecté tout en transmettant les valeurs qu'il estime justes et essentielles à ses enfants et que ceux-ci ne perçoivent que difficilement (comme durant cette scène métaphorique et emblématique où il interdit à son fils de franchir une ligne invisible dans le jardin). Un père qui, s'il semble souvent rigoriste et strict, englué dans des traditions éducatives un peu archaïques, demande aussi à ses enfants de ne pas le prendre en modèle, d'éviter les erreurs et les ornières dans lesquelles il s'est fourvoyé. Un homme qui joue souvent la sévérité jusqu'au malaise (la séquence où il veut apprendre à ses fils à devenir dur en leur intimant de le boxer au visage) mais qui ne cesse aussi de prendre ses enfants dans ses bras, de leur poser la main sur l'épaule, de les étreindre : ce père est sans doute l'un des plus émouvants que l'on ait vu sur un écran de cinéma. Ayant laissé passer ses rêves de grand musicien ou d'inventeur célèbre, c'est un homme que l'existence a rattrapé et dépassé, qui a raté sa vie et se raccroche alors à la seule chose qu'il pense avoir réussi : ses trois fils.

 

19731063_jpg_r_760_x_f_jpg_q_x_20110504_031743

 

La tragédie familiale intime au coeur du film, traitée en creux par le cinéaste, qui n'épilogue jamais sur les circonstances du drame, pousse le personnage de Sean Penn (qu'on aurait sans doute aimé voir davantage à l'écran) à "interroger le monde et son créateur", à verbaliser sa révolte envers un Dieu capable d'ôter la vie d'un être innocent de manière humainement incompréhensible, à exprimer ses doutes, ses craintes et ses peurs à travers un déluge de questions qui semblent d'abord sans réponses. Les multiples monologues en voix off, caractéristiques de l'oeuvre de Malick, n'ont jamais aussi bien porté leur nom : ce sont le plus souvent des soliloques, des "dialogues à sens unique", des nappes sonores narratives tantôt emportées tantôt plus sereines, des interrogations personnelles, des prises à parti du Créateur. Ce sont ces oraisons vives ou sussurées, murmurées, étouffées dans le bruit ambiant du monde, qui permettent de relier entre elles l'ensemble des parties d'immersion dans les souvenirs des années 50, les séquences plus contemporaines (où erre un Jack / Sean Penn constamment perdu dans un univers d'une minéralité technologique  ou naturelle, évoluant dans des temples de la modernité où les ascenseurs vont frôler les cieux et qui évoquent la verticalité impressionnante des Twin Towers et la transparence triangulaire des Pyramides du Louvre), mais aussi les deux "tunnels cosmiques" qui peuvent dans un premier temps sembler déconnectés de la trame du récit.

 

 the_tree_of_life_movie_poster_01

 

Ces séquences universelles, dans tous les sens du terme, annoncées par de paisibles brèches spatiales colorées, sont indéniablement les plus belles dans lesquelles notre regard ait pu se perdre et se noyer littéralement depuis "2001, l'Odyssée de l'Espace" de Stanley Kubrick. Images divinement harmonieuses de galaxies, de nuages stellaires, de corps célestes en mouvement. Images d'une Terre bouillonnante, fracassée, dévastée, visiblement hostile au départ à la conception même de la vie. Images enfin, non pas du Big Bang à mon sens, mais de l'apparition magique de la vie sur notre planète à travers ces plans de galaxies microscopiques et biologiques, ces séparations de cellules, ces flux sanguins minuscules, ces pulsations cardiaques des origines.

 

017_00924_01high

 

Terrence Malick mêle de manière audacieuse, avec une croyance stupéfiante dans les pouvoirs du cinéma, l'intime et l'universel, le minuscule et l'infini, il englobe l'individu solitaire au sein de l'univers, dissout et répand sa pensée au coeur des origines, met sur le même plan le dérisoire et la vérité du Grand Tout, en profond humaniste, épris de la beauté du monde. Son panthéisme contemplatif éclate, comme souvent dans son oeuvre, dans une foule de plans où abondent des animaux filmés avec admiration : un papillon qui "dialogue" avec la mère, des vaches broutant dans un pré, des lucioles, un lézard (source d'une scène à la fois tendre et comique), des myriades d'oiseaux entamant des danses mystérieuses au milieu des gratte-ciels, une foule d'animaux marins gracieux, méduses, raies manta, requins-marteaux chorégraphiques, des dinosaures majestueux saisis dans un instant de vie ou d'agonie, tout un monde animal respirant à l'unisson de notre civilisation, compagnons silencieux de notre aventure terrestre. Cette poésie visuelle et sonore, qui demande parfois à être davantage instinctivement et épidermiquement ressentie qu'intellectuellement décryptée et expliquée, parvient à transmettre un état d'équilibre, de paix intérieure et d'évidente félicité que peu d'oeuvres d'art parviennent à atteindre.

 

19739126

 

Cette béatitude idyllique parvient à son point d'orgue et à son apothéose durant une extase finale durant laquelle Jack, transporté hors de lui-même et du monde sensible, atteint un apogée de communion de son âme avec la Création dans une séquence qui sera synonyme pour certains de comble du kitsch ou, pour d'autres, de bouleversante expérience de révélation mystique où chaque être vivant est relié à un Grand Tout et le moment présent au temps des origines en un grand continuum apaisé. Ce ravissement ultime sur un rivage du bord des mondes souligne in fine que l'oeuvre de Terrence Malick irradie dans chaque image et chaque son d'une foi absolue en l'Homme et en la beauté du monde. Rarement le Festival de Cannes aura été aussi synchrone avec l'Histoire du Cinéma qu'en décernant sa Palme d'Or à "The Tree of Life", en couronnant non seulement un chef d'oeuvre du Septième Art, mais un chef d'oeuvre de l'art tout court. Quelques-uns de ses plans resteront sans doute longtemps nimbés d'un certain mystère (le dialogue théologique sur la Nature et la Grâce, une porte de pierre dans le désert, un masque théâtral qui sombre dans les ondes...), mais au même titre que certaines images tout aussi fascinantes (le cercueil de verre de la mère dans son bois dormant, une robe qui glisse le long du courant, la mère diaphane dansant dans les airs auprès de l'arbre du jardin...), ils contribueront à ce que je me replonge encore et encore, de manière irrésistible, au sein de cette oeuvre profondément philosophique.

 

19731066_jpg_r_760_x_f_jpg_q_x_20110504_031744

 

Lorsque nous contemplons le paysage cinématographique, force est de constater l'impérieuse nécessité de catégoriser l'ensemble des créations audio-visuelles qui se mélangent chaque semaine dans un gigantesque maelström informe, sans la moindre hiérarchie. Un grande nombre d'entre elles sont des produits de consommation courante, des "films jetables", aussitôt vus aussitôt oubliés. D'autres, plus élaborées, plus raffinées et plus maîtrisées, peuvent prétendre au titre de "vrais films". D'autres encore sont de véritables chefs d'oeuvres qui portent au pinacle tous les éléments qui se rencontrent dans l'art cinématographique. Quelques-unes enfin, rares et fragiles, sont des films "éclaireurs", qui montrent de nouvelles voies. "The Tree of Life" fait partie de ceux-là, c'est une oeuvre d'art qui interroge la création cinématographique et la réenvisage, mais qui met également en perspective les autres arts et, plus amplement encore, n'ayons pas peur des mots, notre rapport au monde au même titre qu'une oeuvre littéraire ou philosophique de grande ampleur. L'oeuvre de Terrence Malick dépasse les référencements classiques, les rapprochements, les tentatives de comparaison, sans que l'on sache actuellement s'il constituera dans les prochaines décennies un phare pour les générations de cinéastes à venir ou un acte isolé condamné à demeurer sans équivalent, une "cîme de l'histoire du cinéma". Un coin de l'âme accroché à une branche, mon esprit continuera longtemps de marcher en apesanteur sur le rivage de "The Tree of Life", "L'arbre de vie" continuera de "déployer ses branches" en moi, film vivant, qui respire et me porte.

 

19731060_jpg_r_760_x_f_jpg_q_x_20110504_031742

 

THE SKY, l'amour, THE AIR, le cosmos, THE WATER, le père, THE SEED, les origines, THE LEAVES, le quotidien, THE TRUNK, la mort, THE BRANCHES, la mère, THE WIND, la Création, THE SAP, les vagues,  THE RAIN, la mémoire,  T H E , les galaxies, T R E E , le Temps, O F , les frères, L I F E ,  la vie.

 

 T   H   E       T   R   E   E       O   F       L   I   F   E 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
D
UN VOYAGE PAS DE PASSEPORT NI VISA MAIS BEAUCOUP<br /> DE PAGES BLANCHES. QUI SE SONT PEINTES AVEC LES COULEURS DE MA VIE. QUE J'AI EU LE PLAISIR DE PARTAGER AVEC MA FILLE DE 11 ANS ET SON PAPA.<br /> EN VO ENCORE PLUS AGRÉABLE ET VRAIMENT MERCI A NOS PETITS VILLAGES EN DRÔME ...
Dernières Séances
  • Autobiographie en films. Une bonne critique de film nous en révèle souvent autant sur son auteur que sur le film lui-même : mes textes parlent donc de mes goûts cinématographiques, de ce qui me construit au cinéma, mais aussi de... moi. Bienvenue !
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 32 091
Publicité