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16 octobre 2012

Biopics, Politique & Digressions : J. Edgar, de Clint Eastwood / La Dame de Fer, de Phyllida Lloyd

Profitons de l'actualité pour examiner, avec quelques mois de décalage, des films qui ont quitté l'affiche depuis longtemps mais que nous souhaitions évoquer malgré tout. Le recul, s'il peut donner un air de réchauffé à certains articles, permet parfois également de j(a)uger différemment une oeuvre, sans tenir compte des diktats de la nouveauté, une sortie hebdomadaire en chassant une autre. Inconvénient certain de l'exercice, certaines séquences ne manquent pas de retomber dans une ombre amnésique mais, simultanément, les images qui restent à la surface de la mémoire témoignent à coup sûr d'un passage marquant et important.

 

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Préambule médiatico-politique :


Clint a fait une apparition remarquée le 30 août 2012 à un meeting du candidat républicain Mitt Romney. Beaucoup de quotidiens français ont repris l'info et évoqué l'incohérence du discours, voire un "naufrage de la vieillesse", le gâtisme etc. Je ne partage pas le point de vue politique de Clint sur ce coup là, du moins je ne soutiens pas les Républicains (surtout quand on voit certaines de leurs idées sur l'avortement etc.) et, après tout, il ne faudrait pas oublier que cela concerne les Américains et personne d'autre, contrairement à ce que l'on pouvait croire il y a quatre ans, où l'on avait le sentiment d'assister à une "élection mondiale"... Je ne suis pas non plus particulièrement content que Clint prenne ainsi position et s'expose aux diatribes d'une bande de gratte-papiers de tout poil. Mais ces commentaires sur l'âge de Clint me font bondir. "Incohérent" ? Visiblement, un discours devient "incohérent" pour les journalistes à partir du moment où ils n'apprécient pas son contenu (ou alors, en bons Français forts en langues étrangères, ils n'ont tout bonnement rien capté au discours lui-même). Et par ailleurs, effectivement, si je ne suis pas d'accord avec tout le reste, il a raison de dire "When someone does not do the job, you have got to let them go". Obama "n'a pas fait le boulot", en effet. J'ai toujours considéré la vénération mondiale à son égard totalement déplacée. Les grands espoirs suscités dans le monde entier étaient ridicules à l'époque, ils le sont d'autant plus aujourd'hui, vu les désillusions. Get off my lawn !

 

  

Coupure Publicitaire :

En février dernier, Clint Eastwood a fait une apparition remarquée durant le tunnel lucratif des publicités diffusées durant la mi-temps de la finale du Super Bowl, institution américaine qui échappera sans doute pour l'éternité à la compréhension des Français que nous sommes. Une publicité très soignée pour la firme Chrysler, très classe et aux images léchées, avec un Clint narrateur empreint de gravité, délivrant un discours respirant le patriotisme US à chaque plan et un message d'espoir pour contrer le chômage galopant. Il est intéressant de noter qu'alors, nombre d'observateurs politiques ont cru percevoir dans cette pub l'implication de Clint aux côtés de Barack Obama, dont l'action avait pu contribuer à sauver l'industrie automobile américaine de la faillite. La vérité politique de Clint Eastwood, plus complexe que ces deux anecdotes peuvent le laisser croire, se trouve probablement entre ces deux pôles, entre ce mini-sketch républicain de la chaise et cette publicité pour la relance de l'économie américaine via une mesure gouvernementale des Démocrates.

 

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J. Edgar 

La vérité de J. Edgar Hoover est aussi ce qui sous-tend l'intégralité du scénario de J. Edgar. Comment la trouver, où la chercher, à quels témoignages accorder sa confiance, comment démêler la réalité des détournements médiatiques ou politiques qui n'ont cessé d'émailler la vie d'un homme qui a constamment vécu dans les arcanes des secrets, des mensonges, des contre-vérités ? Chemin faisant, les interrogations de cet ordre se multiplient et s'élargissent au commun des mortels cinématographiques qui voit son existence transposés sur grand écran, jusqu'à susciter le vertige. Comment raconter la vie d'un homme, dans sa complexité, dans ses forces comme dans ses failles cachées, en évitant les raccourcis qui frôlent la calomnie, les résumés caricaturaux, les synthèses trop grossières ? Comment choisir les événements marquants de cette existence pour en donner une image fidèle et proche de la réalité ? Comment définir justement cette vérité, pour un individu quel qu'il soit ? Autant de questions qui devraient guider tout auteur d'une biographie en général ou du genre cinématographique du biopic en particulier.

  

 

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Parler de J. Edgar Hoover, c'est d'abord parler de l'histoire politique des Etats-Unis sur une période d'un demi-siècle : il devient dès lors évident que des choix doivent être faits dans le scénario pour éviter d'être submergé par un déluge d'anecdotes ou de faits historiques, d'autant plus que le film adopte une durée qui ne sort pas réellement de la norme (2h15'), alors qu'il serait aisé d'imaginer qu'une série télévisée se base un jour intégralement sur sa vie. Pionnier de la police scientifique, obsédé du fichage, Hoover est un personnage fascinant d'une grande complexité qu'il est impossible de présenter de manière exhaustive.

  

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De manière plus intéressante encore, parler de J. Edgar Hoover, c'est aussi parler de l'histoire du cinéma : si les incarnations d'Hoover sur grand écran ne sont pas si nombreuses (on pense par exemple au Public Enemies réalisé par Michael Mann en 2009), les films mentionnant explicitement ou indirectement ce personnage sont légion, puisque son ombre tutélaire apparaît dès qu'une intrigue a recours au Federal Bureau of Investigation qu'il a dirigé de 1924 à  sa mort en 1972. Un simple cinéphile, qui ne connaîtrait de l'histoire du monde que ce que lui présente le 7e Art, aurait une idée relativement précise de la carrière d'Hoover, véritable icône crainte ou vénérée dans pléthore de films policiers. Le film de Clint Eastwood aborde d'ailleurs directement le sujet du cinéma à travers une séquence passionnante où Hoover s'interroge sur l'idéalisation de la figure du gangster par Hollywood, notamment à l'époque des bad guys interprétés par James Cagney,  ainsi que sur l'influence et l'évolution de cette image sur la société américaine.

  

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Au sens propre comme au sens figuré, le Hoover que nous présente Eastwood est obsédé par l'image : celle qu'il présente de lui-même, celle que les médias (le cinéma, donc, mais aussi la télévision, la radio, la presse...) renvoient de sa personne, pressentant de manière relativement moderne que l'être du XXe siècle existera en grande partie à travers son image publique, et souhaitant par conséquent façonner celle-ci le plus précisément possible, de la même façon qu'il construit et manipule l'image des puissants qui l'entourent, comme un démiurge tout puissant. Leonardo DiCaprio, magistral comme à son habitude (je ne le répéterai jamais assez, mais nous tenons là le plus grand acteur de sa génération, en dépit du snobisme de l'Académie des Oscars qui persiste à ne pas récompenser ses prestations, voire à les ignorer totalement, comme ce fut le cas cette année), incarne parfaitement cet homme qui possède tous les pouvoirs et qui finit par s'aveugler totalement de cette omnipotence en imaginant pouvoir même déformer changer la vérité à son avantage. Echo à L'homme qui tua Liberty Valance et au personnage de journaliste dans Unforgiven, réflexion sur le pouvoir de l'image, une des plus belles séquences du film montre les révélations de l'ami d'Hoover : des scènes qui semblaient tournées objectivement et que le spectateur avait vues comme telles (l'arrestation du meurtrier de Lindbergh), nous étaient en fait présentées à travers le témoignage mensonger de Hoover, à son avantage (ce qui rappelle aussi les flash backs fictifs de Beguiled / Les Proies de Don Siegel.) La vérité n'était pas celle que nous étions persuadés d'avoir entrevue, mais simplement le point de vue d'un homme qui bâtissait sa propre légende sous les yeux des Américains, un metteur en scène de génie qui opérait sans caméra mais avec des dossiers, des bibliothèques de fiches et autres documents compromettants, un homme craint de tous les puissants et les magnats américains, qui tremblaient à l'idée qu'il puisse dévoiler les secrets qu'ils possédaient sur eux, parce qu'il craignait lui-même que son propre secret soit mis à jour.

  

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Le projet de Clint Eastwood possède un intérêt documentaire certain, sur un personnage comme sur ses contemporains, et peu nous chaut finalement les polémiques qui ont suivi la sortie du film pour savoir si l'homosexualité du personnage, ses travestissements ou la possessivité supposée de sa mère étaient avérés ou non (la fiche Wikipedia du personnage semble au moins autoriser ces hypothèses, cela dit). La reconstitution d'une époque qui y est opérée est également convaincante : Eastwood avait d'ailleurs déjà très bien abordé une partie de cette époque dans son Changelin' dont l'intrigue est parfois cousine de celle-ci, notamment à travers l'affaire des époux Lindbergh.

  

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Sans atteindre au rang de chef d'oeuvre, J. Edgar est une fresque historique ambitieuse et convaincante qui balaie 50 ans de l'histoire des Etats-Unis depuis les quelques mètres carrés du bureau du chef du FBI, un homme qui a longtemps semblé tenir les ficelles de la nation américaine mais qui était finalement seul, seul parce qu'il se méfiait de tout le monde, y compris de lui-même, y compris du reflet que lui renvoyait le miroir.

  

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La Dame de Fer

A l'autre bout du spectre des biopics, même s'il n'est pas aussi déshonorant que certains critiques l'ont indiqué, figure The Iron Lady de Phyllida Lloyd consacré à Margaret Thatcher, produit plus formaté et plus insipide, qui semble surtout avoir été conçu comme une formidable rampe de lancement pour que Meryl Streep, remarquable dans sa composition, décroche une nouvelle statuette (méritée) aux Oscars 2012.

  

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Le film remplit en partie sa fonction en retraçant les étapes majeures de l'accession au pouvoir de la première (et la seule à ce jour) Prime Minister du Royaume-Uni : nous ignorions ou avions oublié nombre des événements qui avaient émaillé sa carrière. Très rapidement cependant, l'attention et l'intérêt documentaire du projet s'amenuisent et se délitent lorsqu'il devient évident que le regard critique du scénariste semble avoir été oublié sous un des nombreux chapeaux de Maggie : en ce sens, le traitement de l'épisode de la Guerre des Malouines est un sommet du genre et montre sans équivoque que l'entreprise tourne simplement à la campagne hagiographique.

  

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La Dame de Fer a cependant constitué une grande première pour moi. Pour la première fois en effet durant la projection d'un film, amusé, j'ai assisté à un déplacement dans mon esprit du sujet d'un récit cinématographique : de manière consciente et délibérée, j'ai trié les séquences qui se présentaient à moi, délaissant la plupart des anecdotes politiques qui ne m'intéressaient guère puisqu'elles étaient trop nettement orientées, pour me concentrer sur un autre film que celui imaginé par le réalisateur. Ironie de l'histoire, comme le personnage lui-même finalement, j'ai oublié progressivement Margaret Thatcher et son rôle sur la scène mondiale pour me focaliser sur un autre personnage à partir des images proposées : celui d'une femme âgée quelconque dont la mémoire s'altère, probablement atteinte des premiers symptômes de la maladie d'Alzheimer, qui voit progressivement ses repères s'envoler et se réfugie, tout en s'isolant du monde, dans un dialogue émouvant avec son mari défunt. Puisque je suis fasciné par le fonctionnement de la mémoire et le passage du temps, ce film là, mélancolique et fantômatique, a capté mon attention. L'autre, l'officiel, est peu à peu sorti de ma conscience et de mes souvenirs.

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Commentaires
C
Salut, <br /> <br /> Perso, La dame de fer est le meilleur biopic que j'ai vu jusqu'à présent. Je le conseille vivement à tous les cinéphiles : http://www.megavod.fr/la-dame-de-fer/
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