Only God Forgives, de Nicolas Winding Refn
Visiblement grisé par le grand succès à la fois critique et public rencontré par Drive, qui a soulevé une passion cinéphile que nous partagions pleinement, son réalisateur Nicolas Winding Refn a souhaité prolonger dans Only God Forgives l'alchimie particulière qu'il avait su créer magiquement en faisant de nouveau appel à Ryan Gösling et en concoctant une bande son propre à marquer les esprits. Si Drive pouvait être considéré comme une variation sur le genre du western urbain, celui-ci semble tenter de donner une vision arty du film de Yakuzas. Las, la déception est cette fois à la hauteur de l'enthousiasme qu'avait engendré Drive.
Il y a deux ans, nous signalions déjà que le scénario ne constituait pas le point fort du premier opus du tandem Refn / Gösling, dont la réussite reposait essentiellement sur une mise en scène magistrale. Cette fois-ci, le scénario tient intégralement sur le mince fil tranchant d'une épée : une Atride mafieuse, reine de la dope à Bangkok, souhaite venger la mort de son fils aîné en éliminant un flic thaï relativement indestructible, quitte à provoquer un massacre de ses acolytes ou de son fils cadet. Pitch simplissime, par conséquent, pour ne pas dire simpliste, mais qui n'avait pas empêché Refn de prodiguer une mise en scène virtuose dans Drive. Ici, malheureusement, le cinéaste se regarde filmer, en extase devant sa capacité à cadrer magnifiquement, épaulé en cela par le directeur photo d'Eyes Wide Shut, Larry Smith, qu'il avait déjà engagé sur Bronson et Inside Job.
Très rapidement, chaque séquence paraît empesée, alourdie par de simples considérations esthétiques, par la recherche de la belle image, du beau cadre, de la belle lumière qui n'éclairera qu'une partie du visage des comédiens ou du décor en en rejetant d'autres dans l'ombre, au millimètre près. Très rapidement aussi, l'attention du spectateur fléchit, comme chloroformée par des ralentis incessants (les 3/4 du métrage ?), qu'ils soient artificiels (au montage) ou naturels (les gestes des personnages, découpés à l'extrême, à l'image de la scène, hilarante au second degré, où notre ami Ryan dresse fièrement et lentement ses petits poings avant de se prendre une dérouillée qui va transformer notre bellâtre en martyr de la cabine de maquillage.)
Plus triste encore, le kitsch et le ridicule guettent et finissent par affleurer au coin de chaque plan. La psychologie des personnages est découpée au sabre : Crystal (tout un programme que ce nom...), interprété par Kristin Scott Thomas, que nous idolâtrons pourtant, joue une mère si indigne et castratrice que le personnage de Marietta Fortune dans Wild at Heart (incarnée par Diane Ladd) paraît un modèle de finesse en comparaison, mais ce n'est rien à côté du méchant Chang, caricatural en diable, que l'on pourrait tenter de définir comme un Robocop Kung-Fu amateur de karaoké (séquences dites du décrochage de mâchoire pour ma part...) Les lumières semblent également se parodier au bout de quelques minutes et l'on doit se frotter les yeux pour y croire : n'y a-t-il aucun autre système d'éclairage à Bangkok que de timides et fluettes ampoules rougeâtres ?...
L'intrigue n'ayant qu'un intérêt accessoire, la violence de certaines scènes, qui a inspiré la plume de certains critiques en mal de sensations, semble du coup bien dérisoire et insignifiante, comme gratuite et le plus souvent grotesque. On tranche, on taillade, on sabre les membres, les yeux, les oreilles et tout ce qu'on peut en délivrant quelques bons mots et quelques aphorismes ("tu ne veux pas écouter, tes oreilles ne te servent donc à rien, etc."), dans l'indifférence totale du spectateur, jusqu'au coup de grâce final systématiquement administré par l'impassible Chang, apparemment venu au monde avec une épée dans le dos. Qu'on ajoute finalement une musique permanente et assommante , rythmant comme un mauvais présage chaque mouvement (lent, vous l'aurez compris) de caméra ou chaque ligne de dialogue offerte par cette troupe de taiseux en herbe, et l'on aboutit finalement à un film qui pourra concourir honorablement au titre de nanar le plus prétentieux de l'année...
Le générique de fin fournit une hypothèse sur ce crash en bonne et due forme de Nicolas Winding Refn. Il y remercie en effet notamment Gaspar Noé, qui reste à ce jour de mon point de vue le cinéaste français le plus talentueux, le plus prometteur, le plus doué dans la mise en scène, mais également celui qui se lance à coeur perdu dans des projets dont le scénario est totalement inabouti et le plus souvent sans intérêt. Le jour où l'un comme l'autre s'attaqueront à un vrai script qui leur permettra de déployer tous leurs talents de réalisateurs, Dieu pourra leur pardonner les errances pompeuses et creuses de certains de leurs films...