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9 septembre 2010

Mrs Dalloway, de Virginia Woolf

"Virginia Woolf". Deux mots qui claquent, soufflent et résonnent.

V I R G I N I A  W O O L F

Deux mots avant même d'être un nom pour moi, pendant très longtemps. Deux mots d'abord issus du titre d'un film de Mike Nichols interprété par Elizabeth Taylor et Richar Burton, film que je n'ai d'ailleurs toujours pas vu pour le moment : "Who' afraid of Virginia Woolf ?"

Puis, au fil des ans, cette intime conviction qu'il me faudrait un jour plonger dans l'univers de cette romancière anglaise, sans voir pourtant la moindre idée de ce qu'elle avait vécu ni du contenu de son oeuvre. Cette intuition inexplicable qu'elle pourrait se révéler pour moi aussi essentielle que l'est Marcel Proust. Intuition qui se métamorphose en certitude un soir de 2003 à la vision du film "The Hours" de Stephen Daldry, qui revisite de manière incroyable et hypnotisante l'univers et les obsessions de Virginia Woolf en adaptant un roman de Michael Cunningham qu'il me faudra lire aussi.

 

Clarissa

Je me suis donc enfin lancé dans l'exploration du monde de Virginia Woolf. En débutant par un de ses romans les plus célèbres, "Mrs Dalloway", celui-là même qui se trouve au centre de "The Hours". "Mrs Dalloway dit qu'elle achèterait les fleurs elle-même." Une lecture qui se mérite, qui se gagne même, tant l'écriture de Virginia Woolf est personnelle et déstabilisante. Impossible de "picorer" d'autres livres simultanément pendant cette lecture, comme j'aime à le faire habituellement : arrivé au quart du roman, comme au milieu des sables mouvants, il m'a fallu repartir à zéro et redémarrer la lecture à ces premiers mots : "Mrs Dalloway dit qu'elle achèterait les fleurs elle-même."

Je sais d'ailleurs d'ores et déjà, alors que je viens à peine d'achever cette lecture, qu'il me faudra y revenir, un jour, l'envisager sous un nouvel angle, pour mieux comprendre ce roman, pour mieux en apprécier les contournements de son expression, puisqu'une foule de choses m'a échappé pendant cette "première découverte", alors même que se confirmait au fil des pages l'importance que Virginia Woolf va revêtir à mes yeux.

Commenter "Mrs Dalloway" sera difficile. Tout juste puis-je en faire des commentaires impressionnistes, des touches éparses pour tenter de brosser un vague tableau général des premières sensations éprouvées. Et convoquer plusieurs citations pour m'y aider.

Nulle intrigue dans "Mrs Dalloway". Du moins pas la moindre trace d'une "histoire" au sens classique du terme. Virginia Woolf semble au contraire fuir tout ce qu'une existence peut avoir de "romanesque" pour ne se concentrer que sur les moments de "creux", de vide, quotidiens et ultra-ordinaires, ce qui me passionne par dessus tout. On pourrait ainsi simplement "résumer" le prétexte narratif de "Mrs Dalloway" à la préparation puis la tenue d'une réception mondaine dans le milieu de la bourgeoisie londonienne du début des années 20, le tout en l'espace d'une seule journée. Virginia Woolf présente elle-même ainsi son projet littéraire : "Examinez pour un instant un esprit ordinaire en un jour ordinaire. L'esprit reçoit une myriade d'impressions, banales, fantasques, évanescentes ou gravées avec la netteté de l'acier. Elles arrivent de tous côtés, incessante pluie d'innombrables atomes. Et à mesure qu'elles tombent, à mesure qu'elles se réunissent pour former la vie de lundi, la vie de mardi, l'accent se place différemment ; le moment important n'est plus ici, mais là. De sorte que si l'écrivain était un homme libre et non un esclave, s'il pouvait écrire ce qui lui plaît, non ce qu'il doit, il n'y aurait pas d'intrigue, pas de comédie, pas de tragédie, pas d'histoire d'amour, pas de catastrophe conventionnelle, et peut-être pas un seul bouton cousu comme dans les romans réalistes. La vie n'est pas une série de lampes arrangées systématiquement ; la vie est un halo lumineux, une enveloppe à demi transparente qui nous enveloppe depuis la naissance de notre conscience. Est-ce que la tâche du romancier n'est pas de saisir cet esprit changeant, inconnu, mal délimité, les aberrations ou les complexités qu'il peut présenter, avec aussi peu de mélanges de faits extérieurs qu'il sera possible. Nous ne plaidons pas seulement pour le courage et la sincérité, nous essayons de faire comprendre que la vraie matière du roman est un peu différente de celle que la convention nous a habitués à considérer."

Le style littéraire de "Mrs Dalloway" reflète entièrement ce projet d'une ambition folle. La langue y est chamarrée, les phrases sinueuses, sillonnées de ruptures, de digressions qui plongent progressivement le lecteur au sein d'une conscience, au milieu de la houle d'un flux de pensées désordonnées et débordantes. Rarement avais-je été amené à ressentir une telle marée de points de vue qui s'entremêlent, se juxtaposent, se répondent de loin en loin, se font écho de manière fine et subtile, soulignent la frontière si ténue qui peut exister entre la "folie" et la "normalité". Jamais sans doute n'avais-je lu un texte qui réussit à retranscrire les flots d'une pensée (non, de plusieurs pensées simultanées !) en perpétuel mouvement, dans les moments les plus anodins comme dans ces carrefours de la vie où l'être se retourne sur son passé et essaye d'entrevoir le chemin parcouru.

"La paix descendit sur elle, elle se sentit calme, heureuse, tandis que son aiguille, tirant doucement la soie jusqu'à son point d'arrêt, rassemblait les plis verts et les fixait très délicatement à la ceinture. De même un jour d'été, les vagues se rassemblent jusqu'à leur point d'équilibre et retombent ; se rassemblent et retombent ; et le monde entier semble dire : "C'est tout", de plus en plus lourdement jusqu'à ce que le coeur lui-même, dans le corps étendu au soleil sur la plage, dise à son tour, "c'est tout". "Ne crains plus", dit le coeur. "Ne crains plus", dit-il en remettant son fardeau à une mer qui soupire, solidaire de tous les chagrins, et qui de nouveau recommence, se rassemble et retombe. Et le corps resté seul écoute l'abeille qui passe ; la vague qui se brise, le chien qui aboie, qui aboie au loin encore et toujours.

"Mon Dieu, la sonnette de l'entrée !" s'exclama Clarissa, arrêtant son aiguille. En alerte, elle écouta."

"La vie seule, chaque instant, chaque goutte de la vie, ici, en ce moment, maintenant, au soleil, à Regent's Park, c'était suffisant. Trop, même. Une vie entière ne suffisait pas, maintenant qu'il en avait acquis le pouvoir, pour en faire ressortir toute la saveur ; pour en extraire chaque grain de plaisir, chaque nuance de signification ; qui l'un et l'autre étaient tellement plus denses qu'autrefois, tellement moins personnels."

V I R G I N I A   W O O L F

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