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Dernières Séances

25 juin 2013

Only God Forgives, de Nicolas Winding Refn

Visiblement grisé par le grand succès à la fois critique et public rencontré par Drive, qui a soulevé une passion cinéphile que nous partagions pleinement, son réalisateur Nicolas Winding Refn a souhaité prolonger dans Only God Forgives l'alchimie particulière qu'il avait su créer magiquement en faisant de nouveau appel à Ryan Gösling et en concoctant une bande son propre à marquer les esprits. Si Drive pouvait être considéré comme une variation sur le genre du western urbain, celui-ci semble tenter de donner une vision arty du film de Yakuzas. Las, la déception est cette fois à la hauteur de l'enthousiasme qu'avait engendré Drive.

 

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Il y a deux ans, nous signalions déjà que le scénario ne constituait pas le point fort du premier opus du tandem Refn / Gösling, dont la réussite reposait essentiellement sur une mise en scène magistrale. Cette fois-ci, le scénario tient intégralement sur le mince fil tranchant d'une épée : une Atride mafieuse, reine de la dope à Bangkok, souhaite venger la mort de son fils aîné en éliminant un flic thaï relativement indestructible, quitte à provoquer un massacre de ses acolytes ou de son fils cadet. Pitch simplissime, par conséquent, pour ne pas dire simpliste, mais qui n'avait pas empêché Refn de prodiguer une mise en scène virtuose dans Drive. Ici, malheureusement, le cinéaste se regarde filmer, en extase devant sa capacité à cadrer magnifiquement, épaulé en cela par le directeur photo d'Eyes Wide Shut, Larry Smith, qu'il avait déjà engagé sur Bronson et Inside Job.
 

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Très rapidement, chaque séquence paraît empesée, alourdie par de simples considérations esthétiques, par la recherche de la belle image, du beau cadre, de la belle lumière qui n'éclairera qu'une partie du visage des comédiens ou du décor en en rejetant d'autres dans l'ombre, au millimètre près. Très rapidement aussi, l'attention du spectateur fléchit, comme chloroformée par des ralentis incessants (les 3/4 du métrage ?), qu'ils soient artificiels (au montage) ou naturels (les gestes des personnages, découpés à l'extrême, à l'image de la scène, hilarante au second degré, où notre ami Ryan dresse fièrement et lentement ses petits poings avant de se prendre une dérouillée qui va transformer notre bellâtre en martyr de la cabine de maquillage.)

 

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Plus triste encore, le kitsch et le ridicule guettent et finissent par affleurer au coin de chaque plan. La psychologie des personnages est découpée au sabre : Crystal (tout un programme que ce nom...), interprété par Kristin Scott Thomas, que nous idolâtrons pourtant, joue une mère si indigne et castratrice que le personnage de Marietta Fortune dans Wild at Heart (incarnée par Diane Ladd) paraît un modèle de finesse en comparaison, mais ce n'est rien à côté du méchant Chang, caricatural en diable, que l'on pourrait tenter de définir comme un Robocop Kung-Fu amateur de karaoké (séquences dites du décrochage de mâchoire pour ma part...) Les lumières semblent également se parodier au bout de quelques minutes et l'on doit se frotter les yeux pour  y croire : n'y a-t-il aucun autre système d'éclairage à Bangkok que de timides et fluettes ampoules rougeâtres ?...
  

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L'intrigue n'ayant qu'un intérêt accessoire, la violence de certaines scènes, qui a inspiré la plume de certains critiques en mal de sensations, semble du coup bien dérisoire et insignifiante, comme gratuite et le plus souvent grotesque. On tranche, on taillade, on sabre les membres, les yeux, les oreilles et tout ce qu'on peut en délivrant quelques bons mots et quelques aphorismes ("tu ne veux pas écouter, tes oreilles ne te servent donc à rien, etc."), dans l'indifférence totale du spectateur, jusqu'au coup de grâce final systématiquement administré par l'impassible Chang, apparemment venu au monde avec une épée dans le dos. Qu'on ajoute finalement une musique permanente et assommante , rythmant comme un mauvais présage chaque mouvement (lent, vous l'aurez compris) de caméra ou chaque ligne de dialogue offerte par cette troupe de taiseux en herbe, et l'on aboutit finalement à un film qui pourra concourir honorablement au titre de nanar le plus prétentieux de l'année...

  

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Le générique de fin fournit une hypothèse sur ce crash en bonne et due forme de Nicolas Winding Refn. Il y remercie en effet notamment Gaspar Noé, qui reste à ce jour de mon point de vue le cinéaste français le plus talentueux, le plus prometteur, le plus doué dans la mise en scène, mais également celui qui se lance à coeur perdu dans des projets dont le scénario est totalement inabouti et le plus souvent sans intérêt. Le jour où l'un comme l'autre s'attaqueront à un vrai script qui leur permettra de déployer tous leurs talents de réalisateurs, Dieu pourra leur pardonner les errances pompeuses et creuses de certains de leurs films...

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25 mai 2013

Le Passé, d'Asghar Farhadi

J'ai beaucoup apprécié la tension qui innvervait chaque scène et le drame intimiste abordé dans Une Séparation, sans le porter toutefois aux nues, comme c'était le cas au moment de sa sortie par l'ensemble de la presse et du public. Le Passé m'a par contre le plus souvent laissé relativement indifférent : j'ai ressenti peu d'empathie et même peu d'intérêt pour l'ensemble des personnages et des drames qui se jouent entre eux, à l'exception de celui joué par Ali Mosaffa, peut-être parce qu'il est iranien, et j'y ai également perçu peu d'enjeux réellement cinématographiques.

 

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Comme d'autres avant lui, Asghar Farhadi a rejoint la France pour poursuivre sa carrière, même s'il me semble d'ailleurs qu'il était loin d'être honni par le gouvernement iranien en place. Comme c'est hélas souvent le cas alors, son cinéma s'est affadi et devient à mon sens plus impersonnel, comme dilué dans des scénarios trop habituels dans notre cinéma hexagonal : des histoires de remariage, de familles recomposées, de crises du couple si souvent présentes sur nos écrans. La résolution d'un petit mystère scénaristique vivifie un peu la dernière demi-heure du récit, autour d'une histoire de robe de pressing et d'envoi de mails qui illustre des trahisons intimes en cascade, mais même si les relations humaines sont traitées avec finesse, le sentiment d'avoir gagné un nouveau cinéaste français et perdu un cinéaste iranien ne constitue pas à mes yeux la meilleure nouvelle qui soit dans le paysage du 7e art...

24 mai 2013

Palmarès 2012

Douze films parce que deux mille douze. Douze films parmi les soixante-douze films vus en deux mille douze en salle. Ces douze films là parce que, comme à chaque fois, ce classement serait sans doute différent dans douze mois, dans douze jours ou dans douze heures, selon mon humeur, selon ce qui me mène au moment où je tâche de faire un tri dans cette année cinématographique. Ces douze films là parce que je n'ai peut-être pas vu pour l'instant tous les films qui auraient pu y figurer, les Holy Motors, Camille Redouble ou Moonrise Kingdom et combien d'autres que je ne souçonne même pas. Douze films, comme un instantané de 2012, un résumé subjectif, un menu d'une belle année de cinéma. Douze films d'horizons variés, de genres différents, des films très intimistes ou à grand spectacle, des films populaires ou vus par quelques poignées de cinéphiles, des films de vieux cinéastes confirmés ou de jeunes réalisateurs prometteurs. Douze films qui m'ont fait vibrer de manières différentes, qui m'ont ému, secoué, enthousiasmé, ragaillardi, étonné, cloué dans mon fauteuil. Douze.
  

Take Shelter

1. Take Shelter , Jeff Nichols - Etats-Unis

La première tornade cinématographique de l'année succède donc au sommet de mon palmarès au Tree of Life  de Terrence Malick, qu'admire d'ailleurs Jeff Nichols, ce qui explique sans doute en partie la présence de Jessica Chastaing dans le casting. Film fantastique au sein d'une Amérique gangrénée par la Crise et la paranoïa, l'esprit de Take Shelter  a soufflé sur l'ensemble de mon année cinématographique au point que, découvert au Festival d'Auch en octobre 2011, je l'ai programmé pour l'ensemble des élèves de 4e de mon collège jusqu'à reconsidérer et réévaluer la séquence finale que j'avais jugée faible lors de ma première vision.

 

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2. Bull Head, Michaël Roskam - Belgique

La composition de Matthias Schoenaerts, révélation de l'année, m'a infligé la seconde claque de l'année. J'ai découvert ce film de Michaël Roskam dans les conditions idéales : en me retrouvant dans la salle presque par hasard, comme pour Take Shelter, sans avoir la moindre idée de ce que j'allais voir. J'ai donné mon point de vue sur ce film sur mon blog. Comme pour la plupart des films présents dans ce classement, on peut y accéder en cliquant sur l'affiche. Quand ce ne sera pas le cas, j'écrirai quelques mots sous les films concernés, manière de rattraper des petites critiques de films que je n'ai pas eu le temps de faire au cours de l'année.

Matthias Schoenaerts a également figuré au sommet de l'affiche de De rouille et d'os de Jacques Audiard, que j'ai hésité à faire figurer dans ce classement. J'en ai surtout apprécié le scénario très bien construit, comme s'il s'écrivait en direct, par petites touches, avec ces personnages qui ne sont pas destinés à se croiser mais qui finissent par partager un bout de pellicule. Un script dont on se dit qu'il épouse assez bien ce qu'une vie peut avoir à la fois d'anodin et d'inattendu. La réalisation d'Audiard manque par contre parfois d'émotion, comme s'il voulait tout contrôler, tout maîtriser à tous les niveaux, comme s'il devait troquer un peu de virtuosité pure contre un soupçon de supplément d'âme, ce que j'avais déjà regretté dans Un Prophète.

 

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 3. La Chasse, Thomas Vinterberg - Danemark

 

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4. Wuthering Heights / Les Hauts de Hurlevent, Andrea Arnold - Grande-Bretagne

Critique en cours, à venir

 

  

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5. Royal Affair, Nikolaj Arcel - Danemark

Découvert au Festival d'Auch, choisi pour les élèves de 4e de mon établissement, probablement un des meilleurs films historiques depuis Barry Lyndon.

   

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6. Killer Joe, William Friedkin - Etats-Unis

 

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7. Frankenweenie, Tim Burton - Etats-Unis     8. J. Edgar, Clint Eastwood - Etats-Unis

  

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9. Twixt, Francis Ford Coppola - Etats-Unis      10. Le Cheval de Turin, Béla Tarr - Hongrie

  

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11. Looper, Rian Johnson - Etats-Unis  

Je le redis fréquemment, la science-fiction est probablement mon genre favori, en littérature comme au cinéma, mais sans doute aussi celui pour lequel je me montre le plus exigeant, en particulier au niveau de la structure du scénario : il est fréquent de voir un film bâti sur un postulat audacieux mais dont le script vole en éclats à mi-parcours pour finir sans queue ni tête de manière totalement invraisemblable et décevante. Avant de revenir sur Looper, évoquons rapidement deux autres oeuvres qui ont marqué la S-F en 2012.

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A priori, Prometheus avait tout pour figurer parmi les grands films de l'année. Au final, il restera celui sur lequel j'ai le plus longuement fantasmé avant que la déception ne l'emporte. La plus grande erreur commise par Ridley Scott a été de tenir mordicus à ce que ce nouveau film de S-F devienne le prequel de sa saga Alien. Le film ne résiste pas bien longtemps à un examen sous cet angle, tant nombre de séquences révèlent les incohérences multiples entre les deux oeuvres : relevons simplement les contorsions scénaristiques teintés de religiosité qui emberlificotent la fin du film pour tenter de justifier la création de bataillons d'aliens destinés à anéantir notre belle espèce humaine - qui, après avoir plu à nos simili-dieux, les a désappointés pour une raison obscure... Hélas, cette obsession première de Scott est si présente qu'elle ne peut que gagner le spectateur, à l'affût des chaînons manquants. La déception est surtout immense lorsque nous constatons la sécheresse d'inspiration qui englobe tout le projet. L'ombre de 2001 se fait ressentir d'un bout à l'autre du film, de manière assez embarrassante, et relever tous les emprunts paraît même difficile : le survol initial d'une planète dans le prologue rappelle furieusement le trip de Dave Bowman à la fin du chef d'oeuvre de Kubrick, les pétroglyphes indiquant la route à suivre parmi les étoiles est une citation directe de L'Odyssée de l'Espace, tout comme l'Artificial Intelligency qui souhaite prendre le contrôle de la mission humaine (Michael Fassbender, impeccable, remplace dans ce rôle notre cher Hal 9000), etc. Restent simplement quelques instants de sidération totale devant la pyrotechnie de certaines séquences (le déchaînement de la tempête ou l'impressionnante séquence de la chute du vaisseau E-T.) ou devant la maîtrise formelle du moment le plus fort du film : la scène d'auto-chirurgie de l'héroïne, à en demeurer les ongles enfoncés dans son fauteuil.

   

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Des scènes de sidération et des moments de bravoure, The Dark Knight Rises en compte également une belle poignée, à commencer par cet effondrement de la pelouse d'un stade de football américain. Si le dernier film de la trilogie batmanienne de Christopher Nolan laisse le spectateur sur sa faim, c'est pour de toutes autres raisons que celles évoquées au sujet de Prometheus : son scénario est globalement bien construit et tient la route, l'interprétation se révèle à la hauteur (sans vouloir entrer dans la polémique qui a agité la toile au sujet de notre Cotillard nationale, qui peine sans doute un peu à rendre son personnage convaincant). Pourtant, mes tympans et mes pupilles étaient à la fête puisque, pour la première fois dans mon existence de spectateur, j'ai assisté à la projection de ce film dans une salle IMAX, qui m'en a mis littéralement plein la vue et plein les oreilles, spectacle garanti. Pourquoi donc persister à faire la fine-bouche, puique j'avoue avoir passé un très bon moment ? Parce que ce long métrage a ressemblé pour moi à une longue séquence de deuil cinématographique d'un bout à l'autre, parce que l'ombre d'un personnage et d'un acteur a plané au-dessus de l'écran et dans la salle durant l'intégralité du film, imposant un voile permanent de regret sur les séquences qui défilaient et un sentiment de mélancolie, de perte : la disparition d'Heath Ledger et, simultanément, de son personnage fabuleux du Joker, initialement destiné à se retrouver au coeur de ce troisième volet, condamnait cette conclusion à un retour à la banalité, malgré les efforts de Nolan. Aussi bien construits soient les méchants du film et les méandres du scénario, ils semble bien falots et ne peuvent rivaliser avec cette figure démoniaque qui accomplissait le Mal de manière purement gratuite et que Ledger avait su traduire avec tant de frénésie et de jouissance communicative.

  

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Comparativement à Prometheus  et The Dark Knight Rises, Looper est d'une humilité désarmante. Face à de tels mastodontes hollywoodiens bodybuildés, aux effets spéciaux rutilants, c'est sans doute son côté Série B qui fait une partie de son charme. Rien de bien nouveau pourtant côté scénario : l'auteur a misé sur du solide avec l'énième retour de la bonne vieille machine à remonter le temps qui a assuré le succès d'une foule de récits. Mais l'invention d'H.G. Wells est légèrement plus grippée, plus rouillée et plus cynique ici, ne servant qu'à une clique de tueurs à gages à effectuer la sale besogne de mafieux du futur. Ces scènes d'éliminations temporelles, pourtant filmées simplement et le plus souvent au beau milieu d'une nature apaisée et indifférente (idée simple mais terriblement efficace pour marquer durablement les esprits), ne cessent de frapper nos rétines malgré leur répétition, tant le rituel qui les accompagne suscite la stupéfaction. Lorsque le film nous plonge au sein d'un paradoxe temporel magistral, le vertige s'empare du spectateur. Certes, le réalisateur n'est pas le premier à confronter un héros à son double via un dérèglement temporel, mais la création d'un personnage mû par des désirs totalement antagonistes à deux époques de son existence est d'une originalité si folle qu'elle alimente le récit pendant de nombreuses séquences, trouvant son point d'orgue lors d'une confrontation verbale magnifique, filmée en simple plan de profil, entre le héros et son double dans un classique diner américain. Comme souvent dans ces récits de distorsion temporelle, le scénario grince parfois et révèle quelques imperfections ou quelques trous d'air mais les faiblesses décelées ici et là (notamment une séquence de lévitation qui semble directement pompée à Take Shelter) sont largement compensées par une mécanique narrative jubilatoire : à ce titre, la conclusion du récit est proprement vertigineuse, surprenante et tout à la fois d'une logique imparable. Pour conclure, il faudra un jour rendre hommage à la carrière de Bruce Willis, qui innerve tant de projets de science-fiction qui, s'ils demeurent souvent d'une facture modeste, ont malgré tout fait évolué le genre au fil des ans.

 

 

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12. The Hobbit : An Unexpected Journey, Peter Jackson - Etats-Unis

Mon identité de cinéphile se trouve là, quelque part entre l'aridité du Cheval de Turin et le film grand public Le Hobbit : des oeuvres si éloignées que certains les considéreraient probablement incompatibles mais qui définissent justement l'éclectisme des mondes que j'aime découvrir au cinéma. Bilbo le Hobbit est l'un des romans préférés de mon enfance. Je me souviens même encore du moment précis où je l'ai touché pour la première fois : chargé de choisir quelques livres pour "mon Noël", je laissais mon regard vagabonder dans les rayons des Bibliothèques vertes jusqu'à ce que mes yeux s'arrêtent totalement sur celui-ci, beaucoup plus épais que les autres. Bilbo venait de faire son entrée dans mon univers.

  

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Bilbo est à ce jour le roman que j'ai lu le plus souvent. Il va sans dire que j'attendais donc avec une certaine appréhension son adaptation à l'écran, surtout inquiet par son tronçonnage en trois parties : au vu de la brièveté du récit, j'avais bien peur que ce découpage ne trouve qu'une raison purement commerciale et mercantile. Tout est loin d'être parfait dans The Hobbit : la 3D totalement superflue, comme souvent, ou plusieurs séquences de bataille qui allongent justement le film inutilement mais, lorsque j'ai rejoint mon terrier après les 2h45 de projection, j'avais le sentiment que Peter Jackson n'avait pas trahi Bilbo, héros de mes dix ans.  Les variations par rapport au texte originel ne sont jamais des crimes de lèse-Tolkien-majesté à mes yeux, et peuvent même parfois donner lieu à des moments brillants, en particulier le prologue consacré à la cité des Nains et au dragon Smaug, superbe et réjouissant. Si quelques scènes à grand spectacle dispensables bénéficient de cette durée hors normes, il faut aussi reconnaître que, très régulièrement, Peter Jackson a su mettre à crédit ce temps qu'on lui accordait pour donner leur pleine mesure à des passages plus intimes où les acteurs occupent le devant de la scène au détriment des seuls effets spéciaux : citons notamment la très longue séquence de rencontre-banquet entre les Nains chez Bilbo, émouvante, spectaculaire, humoristique ou, magistrale, la primordiale scène des énigmes qui oppose Bilbo à l'infortuné Gollum, où il est agréable de contempler, à l'intérieur d'un blockbuster, une séquence qui prend totalement son temps et ne repose que sur un très long échange de répliques extrêmement fidèles au roman. A l'issue de la projection, il ne me restait plus qu'une envie, gage de la réussite d'un film s'il en est : reprendre mon exemplaire de la Bibliothèque Verte, mon Précieux rempli d'illustrations auxquelles je suis attaché, et replonger dans les aventures des Terres du Milieu pour la 4e ou 5e fois, en attendant la suite de l'aventure.

 

Mon Top 12 est achevé, plus long que je ne le pensais de prime abord. Il me reste pourtant encore deux mots à dire. Si l'on se réfère aux différents Festivals, aux cérémonies de remise des prix diverses (les Oscars, les Césars et autres Bafta, pour ne pas citer les prix décernés par des jurys de journalistes spécialisés), on pourra s'étonner que deux films ne figurent pas dans mon classement.

 

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"Vous avez raté votre vie, réussissez votre mort !" était l'excellente phrase d'accroche du Magasin des Suicides de Patrice Leconte. Un sous-titre qui pourrait parfaitement s'appliquer à deux films français cette année. Amour de Michael Haneke, a bien failli se retrouver au sein de mon palmarès, peut-être sous la pression des médias qui le mentionnaient si régulièrement, mais je l'ai finalement écarté au profit d'autres oeuvres qui reflétaient davantage mon année cinématographique. Il n'est plus un secret pour personne que je n'aime pas les films de Michael Haneke, qui est à mes yeux, avec Wim Wenders, le plus grand donneur de leçons du septième art, dans le mauvais sens du terme. Je ne supporte pas son moralisme et sa façon d'agresser le spectateur et de le culpabiliser dans un grand jeu malsain. Le Ruban Blanc, qui lui a valu une reconnaissance critique quasi-unanime, n'avait pas trouvé grâce à mes yeux, même si je reconnaissais la virtuosité de sa mise en scène à tous les niveaux.

Amour est le premier film d'Haneke que j'ai pu regarder sans me retrouver dans la position d'un accusé quelconque, sans y percevoir une thèse plus ou moins ambiguë, et c'est déjà sans doute louable - on mettra de côté la scène du pigeon, relativement pénible quand on sait les difficultés qu'éprouve Trintignant à se déplacer. Comme précédemment, la mise en scène d'Haneke est d'une précision chirurgicale mais aussi d'une froideur abyssale. L'émotion ne sourd que trop rarement (où diable ont pu s'épancher les spectateurs qui ont affirmé s'être répandus en torrents de larmes ? mystère...) Quelques séquences emportent l'adhésion, en particulier la scène de la première attaque du personnage d'Emmanuelle Riva mais, a contrario, la sur-écriture d'un grand nombre de dialogues maintient à mon goût les personnages en retrait : si la vieillesse est un naufrage, comme disait De Gaulle, celle qui atteint les premières classes était peut-être plus aisée à mettre en scène que si Haneke s'était attaqué à un couple de condition plus modeste. Dans le registre qui mériterait la même tagline que le film de Leconte, Quelques heures de printemps, réalisé par Stéphane Brizé, sonnait du coup sans doute plus juste et touchait davantage par la confrontation de deux personnages taiseux incarnés par Hélène Vincent et Vincent Lindon. Malheureusement, un grand nombre de scènes annexes hors sujet, en particulier celles où figuraient le personnage d'Emmanuelle Seigner, délayaient le scénario et la tension dramatique de ce projet.

 

Argo

 

Argo est l'autre film qui a décroché des récompenses un peu partout cette année, entre les Oscars, les Golden Globes, la Directors Guild of America Awards, etc. C'est d'ailleurs la seule raison qui m'a incité à découvrir ce film de Ben Affleck. Argo ne m'a pas vraiment déçu, mais il s'agit d'un film très mineur à mes yeux. Après The Artist l'an dernier, il semble toutefois facile de comprendre que, une nouvelle fois, l'académie des Oscars a récompensé un film qui souligne le poids de sa propre industrie : Michel Hazanavicius illustrait l'influence d'Hollywood sur le vieux continent à travers un film hommage original, Argo s'appuie quant à lui sur la puissance d'Hollywood, qui lui permettrait de dénouer des crises internationales. Comme si le cinéma hollywoodien était le meilleur ambassadeur des States, à la fois pour redorer son image à l'étranger et pour jouer un rôle majeur dans la vie politique américaine. Argo illustre bien cette thèse en mettant en image un scénario basé sur des faits réels qui semblent trop invraisemblables pour avoir été imaginés, mais la mise en scène d'Affleck, même si sa reconstitution des 70's est soignée et sans faute, est trop sage et sans surprises. A noter que John Goodman, fin limier, a réussi à s'incruster dans les films qui ont décroché la récompense suprême aux Oscars ces deux dernières années. THE END

 

18 avril 2013

Frankenweenie, de Tim Burton

Depuis plusieurs années, Tim Burton ne m'enchante plus autant que par le passé, comme si la magie s'était un peu évanouie du côté de Burbank. Alors que j'espère à chaque fois retrouver l'émerveillement de Edward Scissorhands, d'Ed Wood ou de Batman Returns, ses films les plus chers à mon coeur, une grande déception l'emporte souvent, depuis sa version de La Planète des Singes, probablement son film le plus impersonnel. Son adaptation d'Alice au Pays des Merveilles, par exemple, ne m'avait pas emballé. C'est probablement pour cette raison que je ne me suis pas précipité à l'exposition que lui a consacrée cette année la Cinémathèque Française. Plus tôt en 2012, Dark Shadows n'a pas failli à cette règle : ce remix de Hibernatus chez La Famille Adams sous l'ombre de Dracula a pu me faire sourire, notamment lors de la séquence très drôle et originale de galipettes vampiriques exécutées avec jubilation par Johnny Depp et Eva Green, mais j'ai vainement souhaité être emporté comme avant, en finissant par me dire que Burton peinait à renouveler son univers, aussi distrayant soit ce film.
  

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Puisque l'on évoque son univers, deux films français de 2012 m'ont d'ailleurs amusé ou touché et pourraient facilement être qualifiés de burtoniens : Le Magasin des Suicides, incursion sympathique de Patrice Leconte dans le film d'animation, audacieux et prenant, si l'on excepte les chansons à la Disney qui émaillaient le récit et éraillaient trop souvent nos tympans, et L'Homme qui Rit de Jean-Pierre Améris, adaptation du roman de Victor Hugo qui s'est fait éreinter par une bonne partie de la critique mais qui trouve grâce à mes yeux par la beauté de ses décors et par cet hommage assumé à Burton dans la mise en scène (voire à Elephant Man dans une belle série de scènes dans un champ de foire), juste retour des choses pour une oeuvre dont le personnage central est la source même du Joker de Bob Kane et, par extension, de son incarnation par Jack Nicholson dans le Batman de 1989.
  

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Le regard sur la monstruosité, sur le droit à la différence, présent au coeur de L'Homme qui Rit, est également ce qui sous-tend Frankenweenie. Échaudé par mes déceptions successives, je ne m'attendais pas à me faire de nouveau happer par la maestria de Burton. Les images de son moyen métrage datant de 1984 étant encore vivaces dans ma mémoire, je craignais même que le passage des ans, associé à un cocktail dangereux 3D + Film développé en long métrage + Animation, ne vienne écorner mes souvenirs d'une de ses premières oeuvres, en superposant à ces images toutes simples et émouvantes en noir et blanc, des séquences dénuées d'âme issues de ce que je redoutais être un produit de commande purement commercial qui viendrait me confirmer définitivement qu'un de mes cinéastes favoris avait perdu toute inspiration.
  

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Mais le miracle a eu lieu, inespéré. Frankenweenie a brisé une à une mes réserves initiales et, près de trente ans après son modèle originel, il est le témoin d'une véritable cure de jouvence cinématographique de son auteur. Tout ce que l'on aime chez Tim Burton est là : sa description corrosive de la middle-class américaine, ses héros marginaux farfelus, ses personnages secondaires un peu zinzins mais attachants, ses décors gothiques, ses scènes émouvantes qui surgissent de manière inattendue, sa fantaisie originale, son humour loufoque, sa poésie désarmante, son amour débordant du cinéma et de ses pouvoirs illimités.
  

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Depuis son prologue, plaisante variation 3D de la scène identique du moyen métrage de 1984 (Victor projetant en famille son home movie bricolé en relief), jusqu'à son dénouement, très belle réflexion subtile sur le travail du deuil (l'ultime résurrection de Sparky est l'une des séquences les plus émouvantes de l'année cinématographique dans mon esprit), Frankenweenie a renoué avec la magie.
  

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Les citations et les jeux sur les grands classiques des films de monstres, depuis Dracula jusqu'à Godzilla en passant par La Momie, sont une fête et un feu d'artifice mémoriel pour les cinéphiles. Ce retour aux sources de la part de Tim Burton est évidemment avant tout un hommage magnifique à Frankenstein.Trente ans après ses débuts dans le monde du cinéma, baigné par l'oeuvre de la célèbre femme de lettres anglaise du XVIIIe et les adaptations fondatrices de James Whale, il ne pouvait prêter plus grand serment d'allégeance à la créature de Mary Shelley qu'en reproduisant l'acte prométhéen de son diabolique Docteur : dans son studio d'animation, redonner vie, image après image, grâce à la fée électricité du cinéma, à des marionnettes inanimées et leur insuffler les émotions et les sentiments qui nous sont propres. Frankenstein est mort, vive Frankenweenie !

13 avril 2013

Lincoln, de Steven Spielberg

Lincoln appartient à la veine des films didactiques de Steven Spielberg, au même titre que Schindler's List ou Munich, ces films utiles où il veut à la fois éclairer les masses et se faire le chantre des valeurs qu'il prône, en fier défenseur d'une certaine idée de l'Amérique. Si le film sur la Guerre de Sécession reste encore à faire à nos yeux, malgré un prologue qui évoque un Saving Private Ryan version 1865, nul ne pourra critiquer la louable vertu pédagogique ni l'ambition artistique et politique de cette oeuvre consacrée à l'un des pères fondateurs des Etats-Unis. Nul ne pourra non plus contester le talent d'incarnation de Daniel Day Lewis, dont l'interprétation s'impose dès les premières scènes : il EST Abraham Lincoln, comme une évidence.

 

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Il est intéressant de relever la concomitance de Lincoln avec le Django Unchained de Quentin Tarantino sur le thème de l'abolition de l'esclavage. Tarantino prend des libertés avec le sujet en lâchant la bride à la démesure de sa mise en scène avec jubilation, et Spielberg les prend probablement de son côté également en réécrivant l'Histoire pour construire la figure de Lincoln à sa façon, mais ce serait faire la fine bouche que de le lui reprocher. Expliquer longuement comment fonctionne le Parlement américain semblait un pari relativement risqué mais tenu, même si certaines subtilités des tractations houleuses nécessaires au vote du XIIIe amendement de la constitution américaine nous ont échappé à plusieurs reprises. En 1865 déjà, les politiciens s'affrontaient de manière souvent caricaturale et grandiloquente dans les assemblées, et personne n'en sera sans doute étonné. Découvrir par contre qu'à cette époque, les plus réactionnaires, parmi les Démocrates ou les Républicains, n'étaient pas ceux que l'on croit, peut amuser et faire réfléchir sur la relativité des moeurs politiques...

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6 avril 2013

La Maison de la Radio, de Nicolas Philibert

La Maison de la Radio est un hommage à la Voix, aux voix qui hantent nos postes de radios, à ces voix célèbres qui rythment notre quotidien et autour desquelles nous essayons parfois de bâtir un portrait-robot de l'animateur, à ces voix plus anonymes qui peuplent également nos ondes.
   
 

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Animateurs célèbres, techniciens, interprètes, journalistes, membres du public interviennent ainsi tour à tour dans ce panorama de la Maison de la Radio qu'a brossé durant six mois Nicolas Philibert. Il y a fort à parier que le public cible d'un tel documentaire est clairement identifiable : les auditeurs fidèles des émissions de France Inter. Difficile d'imaginer l'intérêt que pourrait y trouver un spectateur qui ne serait pas familier de cet esprit Radio France, même si le réalisateur s'attache non pas aux temps forts de certaines émissions, mais plutôt à ses temps morts ou off, à des regards, des gestes, des attitudes, à de l'invisible.
   

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La Maison de la Radio offre ainsi un patchwork d'une foule d'émissions, des bribes d'entretiens, des fragments pris sur le vif, des morceaux filmés au petit bonheur la chance. C'est la force du film, livré heureusement sans le moindre commentaire, mais également la principale faiblesse. Le documentaire pourrait durer une heure de moins, comme il pourrait être décliné en un immense feuilleton au long cours, sans que sa nature s'en trouve véritablement modifiée : aucune séquence n'est réellement indispensable à sa construction, aucune scène n'a plus de légitimité qu'une autre. La Maison de la Radio tourne donc un peu en rond, sans que cette impression ne soit pourtant désagréable : sensation aussi paradoxale que de vouloir mettre en images un monde peuplé uniquement de sons.

27 mars 2013

Alps, de Y. Lanthimos / Pierre Rabhi, de M-D. Dhelsing / Guerrière, de D. Wnendt

En ce 27 mars 2013, pas moins de 18 films sortent en salles. 18... Ce seul chiffre démontre par l'absurde qu'un problème gigantesque ronge la production et la distribution cinématographiques : hormis quelques critiques (mais je doute que plus d'une poignée de personnes aient vu ces 18 films, par exemple), l'inextensibilité de nos emplois du temps ou de nos porte-monnaies condamne la majorité de ces films au trépas avant même qu'ils ne soient apparus sur un coin d'écran, remplacés quelques jours après par une nouvelle fournée tout aussi indigeste. Trop de films produits, pour de bonnes et surtout de mauvaises raisons. Trop de films balancés à la va-vite dans les salles en dépit du bon sens. Aucune concertation entre les distributeurs, aucune hiérarchie entre de purs produits cinématographiques, des films réalisés avec talent ou des brouillons bâclés pour trois francs six sous...

Ce qui me permet d'ajouter ici un nota bene. Certains de mes lecteurs, réguliers ou de passage, ont certainement pu remarquer que peu de films trouvent grâce à mes yeux sur mon blog. Pourtant, si l'on lit la presse spécialisée, il n'est pas une semaine sans son film immanquable ni sa perle rare. Je pense de mon côté que le cinéma est un art exigeant et difficile, que les réels artistes ne s'y bousculent pas et que, si nous prenons la peine de tenter de nous projeter ne serait-ce que dans dix ans, nous nous rendrons compte que les chefs d'oeuvre cinématographiques ne se comptent pas par dizaines tous les ans...

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D'un autre côté, et sur un registre plus léger, il est toujours plus aisé, du moins pour moi, d'écrire plus rapidement sur un film que je juge mauvais et, bénéfice non négligeable, d'en retirer un plaisir que je n'avais probablement pas éprouvé durant sa projection. C'est par exemple tout à fait le cas des Amants Passagers, dernière production dont s'est rendu coupable Pedro Almodovar, assassiné en règle sur ce blog il y a quelques jours et qui fait justement partie de ces 18 films du jour. Hasard du calendrier, j'ai pu découvrir en prévisionnement ou en avant-première trois autres films parmi cette liste pléthorique : aucun de ces trois films n'ayant déclenché en moi un besoin irrésistible de m'épancher sur de longs paragraphes à leur sujet, je les aborderai rapidement ici.

 

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ALPS  de Yorgos Lanthimos

Le postulat de départ de ce film grec au titre mystérieux est d'autant plus séduisant qu'il faut plusieurs séquences pour parvenir à saisir la fonction précise qui occupe à longueur de journées les quelques personnages présents à l'écran, impliqués dans une étrange société secrète. Le spectateur finit tout de même par rassembler les pièces disséminées du puzzle narratif et par comprendre que ces quelques hommes et femmes sont employés par des familles en deuil pour combler le vide créé par la disparition d'un proche. En dire davantage déflorerait une bonne partie de l'intérêt de ce long métrage. Hélas, pour stimulant qu'il soit aux yeux d'un fan de littérature fantastique, prompt à imaginer des variations infinies sur cette seule base, ce point de départ ne tient pas toutes ses promesses : le scénario est souvent très confus à force de vouloir demeurer énigmatique et la mise en scène peut finir par agacer tant elle semble glacée. Une fois le mystère initial résolu, l'attention retombe et l'émotion ne rejaillit qu'à de rares reprises, dans certaines confrontations entre des familles endeuillées et l'avatar qu'elles ont engagé.

 

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PIERRE RABHI - AU NOM DE LA TERREde Marie-Dominique Dhelsing

Aux yeux de tout citoyen impliqué dans le développement durable et l'écologie, Pierre Rabhi fait office de modèle suprême, sinon de gourou. C'est un personnage éminemment sympathique, modeste et dynamique, qui force le respect et l'admiration pour avoir fait de sa vie une mise en pratique parfaite des concepts qu'il tente de transmettre un peu partout à travers le monde. Un sage au milieu du cynisme financier ambiant. Le documentaire de Marie-Dominique Dhelsing le suit à travers ses pérégrinations en présentant quelques-unes de ses expérimentations (souvent de manière trop peu technique et trop superficielle toutefois) ou quelques passages de conférences dont l'inévitable parabole de la goutte d'eau du colibri, toujours plaisante à entendre, même si l'on peut regretter de ne pas avoir entendu d'autres paroles plus inédites jusque là. Au nom de la terre  ne convaincra pas les sceptiques, il renforcera tout au plus les convictions de ceux qui tentent d'harmoniser leur vie avec leur milieu, de ceux qui essayent de respecter leur environnement et les règles du bon sens, de ceux qui espèrent pouvoir dire un jour "J'ai fait ma part".

  

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GUERRIERE  de David Wnendt

Il y a aussi hélas fort à parier que Guerrière ne va prêcher que des convaincus... Ce film de David Wnendt propose une plongée glauque, oppressante, nauséabonde et parfois complaisante dans le milieu d'une jeunesse allemande qui dérape dans l'idéologie néo nazie par désoeuvrement ou aveuglement. L'origine de cette nouvelle peste brune n'est jamais qu'effleurée, parce qu'elle demeure sans doute mystérieuse pour tous.  La caméra semble suivre ce groupe contrainte et forcée, captant les éclats de violence physique ou verbale, sans adopter un réel point de vue. La rédemption finale, malgré l'espérance qu'elle porte, paraît du coup forcée et un brin consensuelle. Le monde réel est sans doute moins enclin aux belles conclusions et aux happy end de circonstance...

24 mars 2013

Les Amants Passagers, de Pedro Almodovar

Qui aurait cru que l'icône de la Movida se perdrait dans un croisement contre-nature entre une resucée calamiteuse de Y a-t-il un pilote dans l'avion ? (la réponse à cette question est non, définitivement...) et un remake flashy de La Cage aux Folles (là, par contre, le choix est vaste...) ? Hormis quelques exemples atypiques de sa filmographie (En chair et en os et, dans une moindre mesure, Parle avec elle), l'univers de Pedro Almodovar me laisse régulièrement indifférent (voir notamment mon point de vue sur son précédent film, La Piel que Habito, qui fait pourtant office de chef d'oeuvre à côté de celui-ci...) Mais je n'aurais jamais soupçonné pouvoir un jour assister de sa part à un tel film catastrophe au sens littéral du terme.
   

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Hormis un générique superbe graphiquement, vif et coloré, sur une variation psychédélique de la Lettre à Elise, aucun de ces Amantes Pasajeros ne réchappe au désastre, pas même ces passagers de luxe que sont Penelope Cruz et Antonio Banderas, venus cachetonner et faire un petit hola dans la séquence inaugurale, trop brièvement pour saisir leur réelle utilité dans le film mais assez longuement pour qu'on réalise à quel point eux-mêmes sont extrêmement mauvais et jouent de manière très appuyée (les gros clins d'oeil complices ne sont pas loin...)
   

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Le reste est à l'avenant et notre mâchoire se décroche progressivement de stupeur et d'incrédulité au fil des séquences, des pseudo-gags qui tombent à plat, des bons mots qui virent au pathétique, des scènes qui manquent cruellement d'imagination. Plus le compteur tourne, plus les dépressurisations du scénario se font ressentir, repoussant toujours plus loin le mauvais goût, le simplisme et la vulgarité. Ces Amants Passagers ne font qu'enfiler des pantalonnades indignes d'un tel cinéaste et des blagues grivoises grassement soulignées dans une mise en scène qui ne dépasse guère le stade du téléfilm fauché (le manque flagrant de moyens ne débouche que sur une seule petite idée intéressante, l'évocation d'un atterrissage d'urgence au seul moyen de mouvements de caméras élégants dans les couloirs d'un aéroport désaffecté, tandis que résonne une bande son où l'équipe du bruitage s'en est visiblement donné à coeur joie).
   

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Ce nanar aérien touche le fond (ou atteint des sommets du genre, selon le point de vue) lorsque l'avion de ligne pris en otage par Almodovar se transforme intégralement en lupanar volant où les fellations à la mescaline se disputent aux dépucelages sous anxiolytiques et aux partie de jambes en l'air somnambuliques. A l'aune de l'interprétation outrancière et ultra-caricaturale de toutes les grandes folles qui font office de stewards dans ce coucou de cauchemar, nous pourrions même crier au scandale et taxer le réalisateur d'homophobie latente si l'on ignorait les amours almodovariennes... A ce titre, le clip gluant de I'm so excited est un modèle en soi : toutes les pires promesses contenues dans le titre choisi seront, hélas, tenues intégralement, dégustation incluse de gouttes séminales égarées...
  

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Bourré de poncifs et de clichés depuis le train d'atterrissage jusqu'à ce qui tient lieu de cabine, où les pilotes, qu'on ne saurait accuser de déformation professionnelle, y souffrent d'une légère obsession pour les manches, Los Amantes Pasajeros est un film cata sur toute la longueur de la carlingue, un crash intégral et sans rescapé d'un cinéaste qui a oublié toute finesse, tout talent d'écriture et de réalisation, tout sens esthétique dans la soute à bagages. Mayday, Pedro, Mayday !
  

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18 mars 2013

Royal Affair, de Nikolaj Arcel / La Chasse, de Thomas Vinterberg

 

"Il y a quelque chose de pourri dans le Royaume de Danemark !" Cette réplique célèbre, extraite d'Hamlet et en partie citée comme un clin d'oeil de manière amusante dans Royal Affair, était peut-être crédible politiquement au temps de William Sharkespeare, mais aujourd'hui, il y a quelque chose de vivifiant et d'enthousiasmant dans le Royaume cinématographique du Danemark !  Lars Von Trier, bien longtemps après le règne incontesté de Carl Theodor Dreyer, n'est désormais plus seul à vouloir porter la couronne du cinéma danois contemporain, d'autant plus que son projet Nymphomaniac nous fait craindre le pire et risque de le faire glisser irrémédiablement de son trône : sa cour se dissipe et, même si nombre de réalisateurs évoluent au sein de la société de production Zentropa qu'il a fondée, plusieurs cinéastes danois se disputent les faveurs du public à leur tour, et le Dogme, fameux (et fumeux ?) en son temps, semble avoir fait long feu. Si Nicolas Winding Refn a quitté le royaume pour faire carrière aux Etats-Unis après son excellent Drive, deux films danois sortis sur les écrans français à une semaine d'intervalle ont fait grand bruit et bouleversé les classements bien rodés des cinéphiles pour 2012.
   

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Royal Affair porte sur grand écran une page méconnue et stupéfiante de l'Histoire politique du Danemark du XVIIIe siècle. Le premier atout du film de Nikolaj Arcel est son script fabuleux : d'un extrême romanesque permanent et d'une telle apparente invraisemblance que, s'il n'était adapté de faits historiques authentiques, nous le croirions sorti tout droit de l'imagination débridée et débordante d'un scénariste hollywoodien insensé sous amphétamines. Pourtant, la fable politique que nous conte Royal Affair a bel et bien existé, est même enseignée au Danemark et a déjà fait l'objet d'une quantité de romans. En quelques années, à la fin du XVIIIe siècle à Copenhague, le médecin de province Johan Struensee est effectivement parvenu à la cour danoise, est devenu l'amant de la Reine Caroline-Mathilde puis le meilleur ami du Roi avant d'étendre progressivement son influence éclairée sur tous les cercles du pouvoir et d'engager des réformes de la société tout entière. Alors que la France allait se déchirer malgré les grands esprits des Lumières, le peuple danois recevait pacifiquement l'éclairage de ces théoriciens du progrès vénérés par Struensee et, comme une expérience de laboratoire menée grandeur nature, prouvait in vivo leur utilité et leur réussite à la face du monde en opérant une modernisation dans tous les domaines.
   

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La simple illustration de cette révolution intellectuelle réussie en peu de temps pourrait suffire au bonheur culturel d'un spectateur ébahi de découvrir une telle concrétisation à échelle humaine des idées des grands philosophes français, une véritable réalisation d'une utopie philosophique et humaniste formidable et enthousiasmante. Mais Royal Affair est également une tragédie déchirante : la Révolution des esprits fut hélas étouffée en aussi peu de temps qu'elle n'avait germé, même si ses conséquences furent ineffaçables, et la destinée de Struensee devint alors symbolique de l'ingratitude humaine. C'est enfin une magnifique et tout aussi authentique histoire d'amour passionnelle qui se mêle à cette fresque historique vivifiante. Les caractères des protagonistes de ce mariage  (royal) à 3 sont d'une grande complexité et, chose rare, aucun de ces trois personnages n'est sacrifié par la mise en scène : le réalisateur donne sa chance à chacun d'entre eux, révèle leurs parts d'ombres et de Lumières, dans une grande valse des sentiments réjouissante et très souvent émouvante à l'extrême.
  

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Ce parfait triangle équilatéralement cinématographique, dont aucun des sommets (amoureux, politique, philosophique) n'est délaissé au profit d'un autre, met en avant la palette du comédien Mads Mikkelsen, aussi impressionnant dans la peau du visionnaire Struensee quand la passion amoureuse le fait chavirer (ses jeux de regards dans la scène de l'arbre sous la pluie ou dans la splendide séquence de la danse en dehors du temps...) que quand le vent des réformes l'emporte dans son enthousiasme, mais les deux autres comédiens livrent également des partitions d'une grande richesse et d'une grande finesse, en particulier Mikkel Boe Folsgaard, impressionnant dans sa composition du Roi fantasque et émouvant Christian VII, dont le spectateur se demande constamment s'il feint la folie douce ou s'il y glisse momentanément, s'il tombe brusquement et maladivement en enfance ou s'il a conservé un esprit d'une ingénuité admirable.
  

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Les films historiques respirent régulièrement la perruque amidonnée, le talc des maquillages, la naphtaline des vêtements d'époque. Ils se transforment bien souvent en atelier de déguisement sophistiqué pour les comédiens mais aussi en numéro virtuose et tape-à-l'oeil des chefs décorateurs ou des costumiers. Les reconstitutions historiques sentent alors la sueur cinématographique de leurs créateurs, mais empesées et dénuées de faux pli ou de toute rature, de tout grain de poussière, de toute particule de saleté, ces recréations dignes d'un musée, célébrées comme telles et, pour le coup, réellement utopiques, manquent malheureusement bien souvent de ce qui leur est pourtant essentiel : l'apparence de la vie, du temps qui passe, de la réalité. Bien que parfaitement soignés et réalisés, les décors, les costumes, les perruques et autres accessoires dûment estampillés "pur XVIIIe danois" occupent dans Royal Affair la même position qu'ils prennent dans un film contemporain : comme plongé en direct au coeur de cette histoire, le spectateur finit par ne plus leur accorder la moindre importance pour se laisser emporter par la vie, par la passion, par l'optimisme et par l'esprit qui se dégagent de ce récit exemplaire.
  

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L'aveuglement bestial des masses qui conclut Royal Affair, malgré un Johan Struense qui hurle en vain "Je suis des vôtres !", se retrouve au coeur de La Chasse, instinct grégaire poussé à son paroxysme dans ce qu'il a de plus détestable et vil. Au coeur du nouveau film de Thomas Vinterberg, qui retrouve la densité de Festen après s'être égaré dans des productions vaguement internationales, Mads Mikkelsen excelle à chaque instant tout autant que dans l'oeuvre de Nikolaj Arcel : si certains critiques ronchons ou chauvins auraient visiblement préféré voir Denis Lavant (Holy Motors) ou Jean-Louis Trintignant (Amour) couronnés, le Prix d'Interprétation qu'il s'est vu décerner au dernier Festival de Cannes nous semble amplement mérité, tant une violence rentrée et maîtrisée sourd de manière exceptionnelle de sa composition. Il restera pour moi, aux côtés de Matthias Schoenaerts (Bull Head, De Rouille et d'Os), au firmament des interprètes brillants de l'année écoulée.
  

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Nous ignorons si les vertus lacrymales d'une production cinématographique transforment invariablement cette dernière en grande oeuvre d'art et s'il s'agit d'un argument suffisant pour louer les mérites d'un scénario ou d'une mise en scène, mais La Chasse est, à la seule exception de la seconde résurrection de Sparky dans Frankenweenie, le seul film de 2012 qui nous a arraché des larmes spasmodiques à plusieurs reprises, en grande partie à cause de la puissance de son interprétation : à ce titre, la mort du chien du héros (décidément, la race canine est mise à mal en 2012...) et surtout la séquence éblouissante de confrontation durant une messe de Noël figurent parmi les scènes les plus éprouvantes que nous ayons visionnées depuis bien longtemps, tétanisés dans notre fauteuil.
  

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Le thème du faux coupable cher à Hitchcock, ou du citoyen innocent victime du déchaînement de la vindicte populaire, se retrouve au coeur de nombreux films importants de l'histoire du cinéma, la référence en la matière étant probablement Fury de Fritz Lang. La Chasse ne pâlit cependant pas devant un tel modèle du genre, tant la subtilité de son scénario en fait une oeuvre riche et puissante, loin de tout manichéisme ou de propos réducteurs. Le sujet  - un maître d'école accusé de pédophilie par une petite fille - aurait pourtant pu déraper rapidement vers des situations stéréotypées, des dialogues sans épaisseur, des personnages taillés d'une seule pièce et, au final, vers une oeuvre purement théorique tout juste bonne à déclencher un débat façon "Dossiers de l'Ecran". Le scénario de Thomas Vinterberg est tout au contraire d'une finesse remarquable. Il écarte tout d'abord ce qui faisait le noeud du Présumé Coupable de Vincent Garenq interprété par Torreton, à savoir les imbroglios policiers et les démêlés judiciaires, en quelques plans rapides qui créent une ellipse frappante : lorsque Lucas rentre chez lui, clairement innocenté après avoir été embarqué et entendu par la police, le drame se resserre sur l'hystérie collective qui s'est emparée de cette communauté et qui va s'emballer par la suite.
  

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A ce titre, le personnage de la petite fille est magnifiquement traité dans le scénario. Le poids que les adultes donnent à sa parole évolue ainsi au cours du récit selon qu'elle correspond à ce qu'ils ont envie d'entendre ou non : lorsqu'elle ment au sujet de Lucas au début du film, froissée dans son amour propre d'enfant, les enseignants ou les psychologues lui donnent entièrement crédit pour alimenter la fiction à laquelle elle a ainsi donné naissance mais, tout aussi paradoxalement, lorsqu'elle se rétracte, ces mêmes adultes repoussent ses aveux car ils ne correspondent plus au scénario dans lequel ils se sont enfermés eux-mêmes. La Chasse devient alors emblématique du caractère sacré qui entoure la parole enfantine dans nos sociétés contemporaines, quand bien même cette parole est forcée, dirigée ou surinterprétée : le premier interrogatoire de la gamine dans le bureau de la directrice d'école est à cet égard glaçant et effroyable.
  

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A rebours des règles du sacro-saint Dogme cher à Lars Von Trier, Thomas Vinterberg construit avec classicisme une fascinante tragédie moderne dont plusieurs séquences évoquent les fabuleuses scènes de chasse du Deer Hunter de Michael Cimino par leur apaisement apparent et l'harmonie liant le héros à la nature : le dernier plan de La Chasse n'est ainsi pas prêt de quitter nos consciences ni notre mémoire. La rumeur se révèle plus meurtrière et indélébile que le plus épouvantable des crimes avérés au sein de la meute humaine, l'écho persistant d'une balle frappant un tronc d'arbre fait plus de dégâts qu'un véritable règlement de compte. Sublime dénouement.

20 février 2013

Syngue Sabour - Pierre de Patience, d'Atiq Rahimi

15e Festival Ciné 32 - Jeudi 11 octobre, 20h

La Pierre de Patience, sous-titre métaphorique de Syngué Sabour, est une pierre magique que l'on pose devant soi et à qui l'on confie ses secrets les plus intimes, ses espoirs, ses désirs, sa souffrance, jusqu'à ce que cette pierre explose par le trop-plein. Dans cette adaptation d'Atis Rahimi de son propre roman, qui avait obtenu le Prix Goncourt, le rôle de cette Pierre de Patience est tenu par un soldat afghan, héros de guerre qui a sombré dans le coma et sur qui veille sa jeune épouse, qui occupe les lentes heures en parlant à cet auditeur inerte, en revenant sur son passé et en révélant progressivement la vérité de son existence.

 

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Le dispositif de cette intrigue très théorique semble théâtral et c'est du reste le sentiment qui domine d'un bout à l'autre : ces longs monologues paraissent davantage écrits pour une scène de théâtre et leur transposition sur grand écran est finalement dépourvue de toute réelle idée de mise en scène cinématographique. Lorsque la caméra se risque d'ailleurs à l'extérieur du huis-clos de la chambre où se déroule la quasi intégralité du récit, l'embarras grandit quand on constate que la reconstitution d'un quartier de Kaboul se résume à un décor minimal constitué de quelques pans de murs et de gravats qui sont systématiquement filmés avec le même cadrage.
  

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Le consensus critique autour de Syngué Sabour peut donc surprendre, un bon roman ne débouchant pas forcément sur une bonne adaptation. Le message de l'auteur paraît également plus discutable qu'à première vue. Souhaiter évoquer une libération de la femme en Afghanistan semble a priori ne souffrir aucune contestation possible mais, à l'écoute des aveux finaux de l'héroïne, très bien interprétée au demeurant par Golshifteh Farahani, cette prétendue émancipation résonne étrangement et crée un sentiment de malaise. Cette libération ressemble alors à une autre forme d'aliénation. Cette version moderne et psychanalytique des "Mille et une nuits", où une Shéhérazade afghane déverse sa parole pour arracher ses traumas et se débarrasser de ses démons intérieurs, malgré notre patience, malgré de belles images (parfois ambigües : peut-on dire qu'un plan de burqa soulevée par le vent est "beau" sans s'interroger ?) n'a par conséquent pas fait exploser notre enthousiasme...

7 février 2013

The Master, de Paul Thomas Anderson

Nous savons la vénération croissante que connaît Paul Thomas Anderson auprès des cercles de critiques et de cinéphiles. Nous n'avons pour notre part jamais été pleinement saisi ou emporté par sa grâce, même si nous avons beaucoup apprécié la puissance romanesque de ses films fleuves Magnolia ou There Will Be Blood. Toujours est-il que nous attendions The Master comme l'un des premiers grands films de 2013. Las, ce Maître là est à ranger du côté de la première grande déception de l'année.
   

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"Le processus est lent et difficile.
- Je ne le comprends pas."

Cet échange de répliques illustre bien notre ressenti. Ce film au long cours est un ensemble baroque dont nous peinons très rapidement à rassembler les morceaux pour tenter d'en dégager une cohérence interne, lâchant totalement prise quand Philip Seymour Hoffman se retrouve à chanter au milieu d'un public dont les femmes, subitement et sans la moindre raison autre que la beauté du geste, se retrouvent subitement à poil à l'écran, avec un très grand naturel d'ailleurs. Nous pourrions multiplier la citation de scènes qui semblent détachées du coeur du récit (les courses de moto dans le désert, les mystérieuses séquences vitre-bois, etc.), mais n'étant justement jamais parvenu à localiser ce coeur, la démarche serait probablement tout aussi vaine.
  

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Le scénariste et le metteur en scène ne parvenant pas à capter notre attention, nous avons reporté celle-ci sur les comédiens. Il faut d'abord reconnaître que la plupart des scènes confrontant les deux acteurs principaux sont souvent magistrales pour leur interprétation, surtout lors des nombreuses séquences de dialogues à la lisière entre psychanalyse et interrogatoire de police. Mais autant Philip Seymour Hoffman en impose par sa maîtrise, laissant toujours percevoir une violence sourde et rentrée qui ne demande qu'à exploser à tout instant, autant Joaquin Phoenix semble souvent lâché en roue libre dans plusieurs scènes visiblement improvisées où il donne libre cours à sa légendaire folie intérieure jusque dans la caricature. Porté au pinacle pour ses capacités à se mettre en danger, il use et abuse ici de cette image en jouant constamment sur le fil du rasoir (la scène de prison où il explose tout ce qui bouge, y compris lui-même, la scène "vitre-bois" évoquée ci-dessus durant laquelle Hoffman l'empêche visiblement à un moment de se blesser contre la pointe d'un lustre, etc.) 
  

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Le spectateur, perdu dans un des "trous temporels" évoqués dans le récit, s'interroge alors sur la définition d'un comédien : où est la nuance entre l'incarnation d'un personnage et son interprétation à la façon d'un pantin désarticulé (physiquement comme psychologiquement), où se situe la frontière entre un acteur habité par un rôle et un contorsionniste obsédé par la délivrance d'une performance qui dévoie à l'extrême les préceptes de l'Actor's Studio ?...

27 janvier 2013

Blanca Nieves, de Pablo Berger / La tête la première, d'Amélie Van Elmbt

Ma présence au CA du cinéma d'art-et-essai agenais des Montreurs d'Images m'amène à voir fréquemment des films en prévisionnement, manière agréable de découvrir certains films avant que certains médias n'aient commencé à en déflorer l'intrigue ou le style, manière particulièrement excitante aussi de parvenir le regard totalement vierge devant une oeuvre cinématographique. A l'occasion, selon le temps dont je dispose, je choisirai donc parfois de regrouper mes points de vue sur certains films dans ce genre de billet collectif.

L'an dernier, le prévisionnement de Marmande, toujours situé en janvier au cinéma Le Plaza, m'avait permis de découvrir, estomaqué, le film coup de poing Bull Head. Le programme de cette année n'a pas recélé un aussi beau joyau mais au moins une oeuvre très précieuse, que nous aborderons à la fin de ce texte.

 

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Monstres... pas si monstrueux est un programme de 5 courts métrages d'animation pour les petiots, avec un très bon court, Cul de Bouteille de Jean-Claude Rozec, sur un petit gamin totalement miro qui imagine un monde fantastique dès qu'il ôte les lunettes qui lui rendent le quotidien trop monotone et banal. Personnage très attachant qui se réfugie dans son imaginaire.
   

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La tête la première d'Amélie Van Elmbt est un marivaudage insignifiant entre deux écervelés bohèmes, qui lorgne visiblement du côté de Rohmer ou de Doillon, allant même jusqu'à offrir un rôle à ce dernier, qui parvient à sauver les scènes dans lesquelles il apparaît. Le reste est propremement irregardable: absence patentée de scénario comme de mise en scène, dialogues ampoulés et creux, comédiens approximatifs, personnages têtes-à-claques, situations usées jusqu'à la corde. Ce film est d'une telle vacuité que le regard se perd régulièrement dans les à-côtés du plan, à la recherche d'un soupçon d'intérêt qui se serait égaré dans un cadrage. Erreur monumentale : si la réalisatrice a bâclé son premier plan, elle n'a pas tenu le moindre compte de l'arrière plan, qui donne lieu à un vrai festival de regards caméra (voire de coucous !) des figurants involontaires de certaines séquences, et à un ballet de faux raccords. S'il fallait attribuer le prix du plus beau d'entre eux, j'hésiterais fortement entre les plans tournés dans une voiture qui prouvent que l'équipe est passée plusieurs fois exactement au même endroit sur une autoroute ou ceux, promis à un grand avenir, où l'on aperçoit le t-shirt mouillé d'un comédien... avant même qu'il soit allé se tremper dans une rivière. La tête la première ? Non merci, pas même un orteil !
   
   

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Công Binh - La longue nuit indochinoise est un documentaire de Lam Lê dont le grand mérite est de mettre à jour le fait que, durant la 2nde Guerre Mondiale, 20.000 Vietnamiens furent recrutés de force pour remplacer dans les usines d'armement les soldats français partis au front. Comme Indigènes en son temps, ce doc permet de dévoiler des faits trop longtemps occultés. La mise en scène est relativement classique (succession d'entretiens avec les différents survivants très âgés de cette histoire méconnue, les Công Binh du titre) mais s'offre parfois de beaux instants de respiration grâce à des scènes poétiques recomposées à l'aide de marionnettes sur des plans d'eau.
   
   

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Depuis The Artist, le retour aux sources du cinéma a le vent en poupe et semble tarauder nombre de cinéastes. Michel Gomez a livré avec Tabu une interprétation du genre qui a mystérieusement conquis la critique pendant qu'elle nous laissait sceptique, et voici que Pablo Berger se targue de redonner à son tour la parole à un film muet, en noir et blanc, sans second degré ni regard réflexif sur le genre, contrairement au film de Michel Hazanavicius. Sur le papier, cette histoire de nains toreros prenant sous leurs ailes une pauvre orpheline honnie de sa marâtre et élevée avec la passion paternelle de la tauromachie, pourrait faire fuir ou rendre dubitatif. Mais à l'écran, cette belle variation sur le thème d'une Blanche-Neige plongée dans l'Espagne des années 20, franchit un à un les obstacles qui semblaient se dresser entre l'écran et nous. 
  

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Transformer un conte littéraire en une oeuvre dépourvue du moindre mot (mais transcendée par une musique magnifique) relève même du tour de force et ces choix délibérés de mise en scène finissent par s'imposer comme une évidence au spectateur au bout de quelques séquences. Cette relecture du conte parvient ainsi à moderniser le récit imaginé par les Frères Grimm tout en replongeant paradoxalement dans un matériau filmique qui pourrait paraître aujourd'hui désuet (si ce n'est le montage particulièrement rapide de certaines séquences). Le scénario de Berger joue sur les traditions, le folklore et les codes espagnols sans sombrer dans le cliché : le flamenco ou la corrida, dépeinte de manière très humaniste et respectueuse des animaux - et c'est un farouche opposant aux horreurs des arènes qui vous le dit !
    
   

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Habilement, le script insère aussi dans sa trame quelques fils narratifs d'autres contes ("Cendrillon" ou "La Belle au Bois Dormant") tout en faisant écho à certains monuments du muet, notamment le "Freaks" de Tod Browning qui irrigue la seconde partie du récit : certaines scènes retrouvent même le caractère morbide, cruel et sourdement angoissant de cette littérature dite enfantine qu'on considère souvent à tort, Disney oblige, comme pétrie d'images tendres, convenues et lisses (nous pensons en particulier ici à la "scène finale" du joli coq qui accompagne les escapades de Carmen enfant, ou à cette séquence étonnante de "photographies post-mortem" qui semble surgie d'un cauchemar). 
   

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Cette Blanca Nieves est donc une belle réussite inattendue et souvent émouvante (à l'instar de sa superbe séquence finale), à l'opposé des adaptations clinquantes, tape-à-l'oeil et survitaminée des grands contes de notre enfance que proposent les studios hollywoodiens actuellement, depuis l'outrageusement belliqueux Blanche Neige et le Chasseur jusqu'au Hansel et Gretel - Witch Hunters qui va sortir dans quelques semaines et dont la seule affiche annonce clairement et ridiculement la couleur. 

  

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6 janvier 2013

FoxFire, Confessions d'un gang de jeunes filles, de Laurent Cantet

15e Festival Ciné 32 - Vendredi 12 octobre, 16h15

FoxFire ? Un remake inversé d'un des plus mauvais films de Clint Eastwood, où ce dernier s'emparait d'un avion de chasse russe beau comme un sou neuf ? Non, FoxFire est le nom donné par une bande d'ados américaines des 50's à une société secrète composée exclusivement de filles qui veulent troquer les réunions Tuperware contre des descentes en règle de tout ce qui leur semble une atteinte à leur honneur féminin. C'est surtout un nom inventé par Joyce Carol Oates, auteur du roman Confessions d'un gang de filles qu'a voulu adapter Laurent Cantet, sans déplacer l'intrigue ni à notre époque ni à l'intérieur de nos frontières, où elle ne pourrait d'ailleurs pas fonctionner, concédons-le.
  

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Le récit n'est pas toujours inintéressant, même si, ironiquement, l'on doit bien remarquer que, dans ce portrait d'une Amérique middle-class où le chef costumier et l'accessoiriste s'en sont donné à coeur joie, aucun personnage ne parvient réellement à sauver la gente masculine, aboutissant à un film si féministe que nous pourrions aisément le qualifier de misandre. Le spectateur ne ressent surtout que très peu d'empathie pour l'une ou l'autre de ces apprenties suffragettes à flingues, tant la mise en scène paraît distante et empesée malgré son élégance. Et surtout, le vrai problème posé par ce long métrage, outre sa longueur excessive, est de tenter de comprendre pour quelles raisons Laurent Cantet, si juste, touchant et fin dans ses grandes réussites "intra-muros" et hexagonales, lorsqu'il s'empare à bras le corps de sujets profonds, en phase avec l'air du temps et de notre société, pour quelles raisons donc a-t-il souhaité quitter les frontières fictives de notre pays pour aller perdre son originalité et son style dans ce récit qui ne lui ressemble absolument pas, exactement de la même manière que lorsqu'il avait tourné son film Vers le Sud... Mystère absolu de cette adaptation anonyme...

 

28 décembre 2012

Touristes, de Ben Weathley

15e Festival Ciné 32 - Jeudi 11 octobre, 22h45

 

Touristes mérite incontestablement le prix du film le plus volontairement barge, branque et foutraque de 2012. A ce niveau là, les concurrents sont même rares, pour ne pas dire inexistants, et c'est ce qui fait déjà le charme de cette comédie britannique grinçante et sanglante : son côté inclassable et débarqué de nulle part, sa destination demeurant d'ailleurs relativement mystérieuse également.

  

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Si cette pochade semble, durant quelques séquences introductives, s'appuyer et lorgner de manière assez déjantée sur les comédies sociales à l'anglaise de Mike Leigh, Ken Loach et consorts, elle se tourne rapidement vers une farce horrifique réjouissante qui laisse le spectateur parfois pantois. Les aventures des deux héros aux commandes de cet OFNI dépassent en effet largement ce à quoi est habitué le commun des mortels qui hante les salles obscures. Serial losers sillonnant la campagne anglaise à bord de véhicules plus ou moins improbables, ils finiront par se transformer en Natural Born Killers campagnards décomplexés : le road movie, entamé sur le ton de la comédie romantique neuneu, dégénère et part totalement en vrilles au fil de la tournée des sites touristiques les plus kitschs et beaufs de la Grande Bretagne qu'entreprennent ces Bonnie and Clyde de la déglingue et du n'importe quoi. Dans le genre, entre une visite au musée du train et une balade grand-guignol sur un site mésolithique, la palme revient indéniablement au musée du crayon à papier, tellement hilarant qu'on craint qu'il n'existe réellement.
   
   

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Les délires de Ben Weathley, cousin grand-breton de Quentin Dupieux, biberonné aux Monty Python à la sauce gore depuis la plus âpre enfance, est donc à même de satisfaire tout cinéphile à la recherche de saveurs visuelles nouvelles ou d'une détente pure après une série de films plus exigeants : pour ma part, Touristes a par exemple été parfaitement le bienvenu après 5 films consécutifs durant une journée de festival, une façon idéale de décompresser et de clôturer un tel matraquage cinématographique. Nous pouvons cependant admettre que  cet exercice plaisant trouve ses limites dans son côté extrêmement répétitif, plus proche de l'esprit d'une série de sketchs télévisuels, vignettes successives de 10 ou 15' où la mise en scène n'est pas très poussée, le bon vieil écran du salon semblant d'ailleurs l'espace où ce type de productions aurait davantage sa place.

 

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23 décembre 2012

Memory, spectacle de Vincent Delerm

Théâtre Sorano, Toulouse - 20 décembre 2012

Memory est un spectacle original de Vincent Delerm. Pas un concert de plus, même s'il excelle d'ordinaire dans la mise en scène et la scénarisation de l'interprétation de ses chansons. Il a ici effectué le mouvement inverse, écrivant d'abord une trame théâtrale avant d'y insérer des chansons spécialement composées pour l'occasion.
 

 

A vrai dire, ces nouveaux titres ne mériteraient pas vraiment d'être réécoutés sur un album, à une ou deux exceptions près : je me souviens surtout d'une chanson où il évoque avec dérision la mode et la société de consommation où "maintenant tout le monde se fout" de ce qui a été du dernier cri à une époque.
    


   
L'émotion qui se dégage de Memory tient à ce que l'on trouve dans son univers musical habituel : un rapport mi-amusé mi-mélancolique au temps qui passe, aux souvenirs qui hésitent entre nostalgie douloureuse et moquerie acerbe. L'attachement à des objets ou des habitudes d'un passé plus ou moins proche, façon "Je me souviens" de Georges Pérec ou "Les Années" d'Annie Ernaux. Les petits riens du quotidien, les amours défuntes, les occasions manquées, les regrets qui remontent à la surface. Autant de thèmes qui pourraient plomber le moral mais que Delerm parvient à transmettre avec tendresse, humour et une apparente désinvolture.

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19 décembre 2012

Jean de la Lune, de Stephan Schesch

15e Festival Ciné 32 - Mercredi 13 octobre, 21h

Jean de la Lune, adaptation d'un des albums de Tomi Ungerer, respecte parfaitement le trait et la ligne du célèbre auteur des Trois Brigands. Cette histoire de Pierrot Lunaire intra-lunaire se laisse voir sans déplaisir et conviendra sans doute à un jeune public, pour sa poésie et son intrigue limpide. Il demeure cependant que cette variation simplifiée du récit de E.T. est parfois un peu plan-plan, pour ne pas dire gnangnan. Nous n'ignorons pas que la répétition est l'une des règles de la pédagogie mais, si les jeunes enfants n'y verront rien à redire, les adultes n'y trouveront probablement pas réellement leur compte au niveau des dialogues, relativent plats, mièvres et mal écrits.

  

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Ces mêmes adultes seront par contre quelque peu interloqués lorsque, au détour d'une séquence de décollage de fusée, des attributs féminins remplaceront avantageusement les manettes d'un tableau de contrôle ou quand ils assisteront, un peu médusés, au décollage plus grivoisement terre-à-terre d'un roi légèrement priapique et de sa princesse joyeusement libidineuse. Galipettes égrillardes qui échapperont aux jeunes et chastes neurones mais surprendront les plus vieilles rétines !

 

15 décembre 2012

Beasts of the Southern Wild, de Benh Zeitlin

15e Festival Ciné 32 - Samedi 13 octobre, 20h15

 

Je déteste les bandes annonces qui me racontent par le menu les films, nous ôtant toute envie de le découvrir en salles. Je ne supporte pas non plus les extraits à répétition  qui les saucissonnent en une multitude de vignettes, transformant n'importe quel long métrage en puzzle informe. Je hais aussi les intervenants qui présentent un film avant une séance et qui se croient obligés de révéler des parties essentielles de l'intrigue (quand je les ai sous la main, je m'empresse alors de prendre les écouteurs de mon iPod pour ne pas entendre ces paroles parasites). Mais, par dessus tout, je pense abhorrer encore plus ceux qui me dictent les sentiments que je suis censé devoir éprouver durant une projection. Ce fut le cas avant la séance des Bêtes du Sud Sauvage...

  

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Beasts of the Southern Wild a obtenu la Caméra d'Or au dernier Festival de Cannes. Ce n'est certes pas une catastrophe abyssale, contrairement au film primé l'an dernier, Las Acacias, mais permettez-moi de demeurer légèrement dubitatif lorsque j'entends sonner le concert de louanges qui accueille ce premier film de Benh Zeitlin, présenté (avant le prochain) comme le nouvel enfant prodige du cinéma américain... Même si l'on m'a pesamment intimé l'ordre d'être instantanément ému, même si l'on m'a sommé de me transformer toutes affaires cessantes en serpillière vivante avec seau intégré, même si l'on m'a donné l'injonction irréfutable de me répandre sur mon fauteuil tel un fleuve lacrymal sortant de son lit, force m'a été de constater, au fil des séquences, que mes paupières restaient aussi arides que le désert, tandis que l'eau débordait de chaque coin du cadre à l'écran.

  

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Certes, ces Bêtes nous donnent à voir des coins d'Amérique et des gens délaissés par le cinéma mainstream d'Hollywood, et c'est déjà beaucoup. Certes, le scénario aborde de manière originale et parfois poignante les séquelles de l'ouragan Katrina. Certes, le jeune réalisateur témoigne d'une énergie folle dans chacune de ses scènes, qui l'ont transformé en mascotte officielle et éphémère de la critique. Mais hélas, le chantage à l'émotion n'était pas le seul fait de l'intervenant qui a déclamé sa passion inextinguible avant la séance : le moindre plan semble nous inviter à pleurer constamment, à ressentir une émotion permanente, à éprouver une admiration sans bornes pour le personnage de Hushpuppy comme pour celui de la gamine qui l'interprète alors que, osons l'avouer, tous deux finissent sérieusement par nous courir sur le système au bout d'un moment tandis que les scènes misérabilistes s'empilent sans qu'on n'en voie jamais le bout. Quant aux visions des Aurochs qui donnent leur titre au film, ces sangliers affublés de défenses scotchées à la va-vite m'ont fait hésiter entre stupeur et rires nerveux à chacune de leurs apparitions...

8 décembre 2012

Tango Libre, de Frédéric Fonteyne

15e Festival Ciné 32 - Jeudi 11 octobre, 16h30

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Le tango réussit décidément bien au cinéma. En 2002, Robert Duvall se mettait en scène lui-même en tueur à gages dans le polar très original Assassination Tango et, en 2005, Patrick Chesnais et Anne Consigny excellaient dans la comédie désabusée Je ne suis pas là pour être aimé de Stéphane Brizé. Autant dire que, dès l'apparition du titre, ce long métrage réalisé par Frédéric Fonteyne débutait avec des références non pas écrasantes mais tout de même intimidantes.

 

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Très vite cependant, ce tango-là se libère de ses aînés et s'affirme comme une comédie dramatique enlevée et bien rythmée, en dépit d'une intrigue relativement abracadabrantesque. Le récit fonctionne et se suit agréablement, grâce surtout à un quatuor d'acteurs bien assortis, même si François Damiens et Sergi Lopez ne sortent guère de l'image, au demeurant sympathique, qu'ils se sont forgée depuis plusieurs années.

  

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Ce Tango Libre, aux accents de Jailhouse Tango, n'arrachera donc pas forcément des larmes de rire mais doit être recommandé pour ce qui en constitue le coeur original et réjouissant : une extraordinaire longue séquence de danse au milieu du pénitencier entre deux spécialistes argentins, morceau de bravoure musicale qui transforme pendant quelques minutes la salle de cinéma en véritable piste de danse galvanisée.

7 décembre 2012

Twixt, de Francis Ford Coppola

Je n'ai pas trouvé le temps d'en parler au moment de sa sortie, mais le classement 2012 des Cahiers du Cinéma remet Twixt en tête d'affiche et dans les mémoires, en le plaçant sur le podium de leurs films préférés, à ma grande satisfaction.

 

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Dans la famille Coppola, n'est pas le plus jeune celle que l'on croit ! Plus personne parmi mes lecteurs n'ignore mon grand amour contrarié pour les films de Sofia Coppola (Virgin Suicides excepté). En revanche, alors qu'il a traversé une période de pellicules maigres de quinze ans après son Bram Stoker's Dracula de 1992 (L'idéaliste et surtout le triste Jack sont aisément oubliables), ses trois derniers longs métrages appartiennent à ce qui se fait de plus vivifiant dans le septième art : en 2007, Youth without Youth se révélait moins spectaculaire mais bien plus profond, poétique et mélancolique que L'étrange histoire de Benjamin Button, sur des thèmes très voisins, bien que le grand public n'ait retenu que le film de David Fincher, en grande partie grâce à / à cause des effets spéciaux impressionnants qui y étaient déployés ; en 2009, Tetro renouait avec ce que le maître qu'est Francis Ford Coppola sait faire mieux que quiconque : une fresque familiale ample, démesurée même, opératique et autobiographique, portée par un Vincent Gallo fougueux et bouillonnant de l'intérieur, premiers pas magiques et émerveillés d'un cinéaste qui découvrait le tournage en numérique en construisant une image d'un sublime noir et blanc ; et en 2012, donc, Twixt...

  

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Twixt n'est pas un chef d'oeuvre mais demeure un film passionnant à plus d'un titre, constitué d'une multitude d'influences diverses, en particulier autobiographiques : tentative d'exorcisme poignant de la mort accidentelle de son fils, retour à ses amours originelles pour les films gothiques qu'il avait pu expérimenter sous la tutelle de Roger Corman, réflexions mises en abyme sur les mystères de l'inspiration, entremêlement de la réalité et du monde onirique, sur fond d'hommage sensible et étonnant à la littérature d'Edgar Allan Poe...

  

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Twixt, dont le beau titre énigmatique est une version archaïque du "between", évoque avec poésie l'entre-deux mondes (et ce titre peut malheureusement faire penser également à Twilight, puisque la partie la plus faible - pour ne pas dire ratée - de l'intrigue, paraît s'inspirer de cette fameuse saga adolescente). L'une de ses plus belles séquences, que nous placerons parmi les moments de grâce de l'année cinématographique, montre ainsi des êtres fantomatiques s'animer sous les yeux du héros et reprendre vie au ralenti de manière évanescente, l'espace d'une danse improvisée et joyeuse, en dehors du temps.

  

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L'homme sans âge voyait un vieux professeur de linguistique rajeunir inexplicablement après avoir été frappé par la foudre. Twixt donne la sensation électrisante que ce démiurge de génie, à la tête des chefs d'oeuvre absolus que sont ses Parrains ou Apocalypse Now, rajeunit de film en film depuis dix ans, comme si nous découvrions le premier film plein de promesses d'un nouveau cinéaste, avec certes tous ses défauts (scénario inabouti et parfois un peu brouillon, maladresses de mise en scène, trop plein d'idées qui se bousculent les unes les autres...) mais surtout avec ses grandes qualités (enthousiasme cinématographique visible à chaque plan, sentiment stimulant de partager la redécouverte de l'Histoire du cinéma à travers le prisme d'un artiste). Partagez donc la découverte de l'éclosion d'un nouveau talent, voyez les derniers / premiers films de Francis Ford Coppola !

6 décembre 2012

Tabou, de Michel Gomes

Les louanges critiques frôlent le délire quasi général au sujet de Tabou, du cinéaste portugais Michel Gomès tandis que, sorti le même jour, Les Hauts de Hurlevent (dont nous reparlerons) ne reçoit qu'une indifférence polie, dans le meilleur des cas. Et pourtant...

    

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Conçu en partie comme un hommage poétique à l'aube du cinéma (le titre est une référence explicite à Murnau), pendant plus intellectuel et réflexif de The Artist, Tabou réussit à mon sens l'exploit inédit d'être le film muet le plus bavard de toute l'histoire du cinéma. On peut ne pas partager mon avis, mais le Septième Art, dans mon esprit, se caractérise par l'entremêlement épuré des images et des sons : les bruits, les effets sonores, la musique et, dans une moindre mesure, les dialogues. Une prépondérance de discours dans un film déplace souvent pour moi le curseur cinématographique vers le monde du théâtre : c'est en partie ce que je peux reprocher à Woody Allen, même si, bien sûr, des exceptions peuvent se présenter (songeons notamment à la manière dont Tarantino s'approprie la notion même de dialogue). Lorsque j'examine les films qui figurent dans mon Panthéon personnel, je me rends compte que nombre d'entre eux ne reposent presque pas sur le dialogue, et quand je réfléchis à mes plus grands instants de plaisir cinématographique, surgissent de ma mémoire des séquences amples et développées durant lesquelles aucun traître mot n'est échangé.

   

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Tabou repose sur une intrigue romantique bateau qui n'a selon moi guère d'originalité : une passion amoureuse sur fond d'histoire coloniale portugaise. Le renouvellement certain opéré par Gomès repose intégralement sur sa forme. Des nappes entières d'une voix off extrêmement littéraire viennent inonder le récit et, si elles peuvent créer un effet hypnotique intéressant au bout de quelques minutes, instillant un fort sentiment de mélancolie sourde, elles se révèlent au final soporifiques également. Restent des moments suspendus de trouvailles dans la mise en scène, en particulier dans ces instants que je qualifierai de faux muet, où cette voix désincarnée narre les propos échangés en sourdine par deux personnages à l'écran, tandis que résonnent, dans l'arrière plan silencieux, quelques sons d'une nature indifférente aux turpitudes de l'âme humaine, "comme si les mots échangés entre les personnages s'étaient perdus dans le temps", dit le réalisateur. Quelques moments émouvants, par conséquent, mais pas de quoi casser trois pattes à un pauvre crocodile ni trois doigts à un critique en mal de sensations...

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