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15 avril 2012

Intouchables, d'Eric Tolédano et Olivier Nakache

Inabordables ? , première partie

Intouchables fait indéniablement partie de ces films dont il est très difficile de rendre compte, une fois que les médias les ont essorés plus que de raison, une fois que toute la France s'est fait un avis définitif à leur sujet (sans avoir obligatoirement vu le film, d'ailleurs : cela se saurait si nos chers concitoyens avaient besoin de connaître réellement une oeuvre pour se forger une opinion...), une fois que toute discussion les concernant semble épuisée avant même d'avoir débuté. Quand bien même je m'oblige à esquiver toute critique d'un film à la télévision, à la radio ou dans la presse, avant d'avoir décidé si je tenterais de développer mon point de vue ici, impossible en effet d'avoir pu échapper totalement au raz-de-marée médiatique qui a accompagné ce film d'Eric Tolédano et Olivier Nakache. Pourtant, même s'il m'était impossible d'échapper à ce déferlement, il faut également constater que, du film en tant qu'objet cinématographique, il a finalement peu été question, la multitude de commentaires n'ayant au bout du compte traité qu'un seul thème : les records de fréquentation battus, rebattus (ô combien...) et archirebattus, semaine après semaine. Je me garderai donc bien d'ambitionner un réel point de vue critique complet, mais tentons de glisser quelques remarques sur ce film, puisque je n'ai pas relevé grand chose sur sa mise en scène.

  

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Indétrônable ?

Commençons par ce cher box office, qui sert hélas souvent de triste étalon pour mesurer la qualité d'un film. Essayez donc de convaincre quelqu'un qu'un film n'est pas nécessairement bon, même s'il a été vu par des millions de gens (faisons par exemple une minute de silence pour la catastrophe industrielle des Bronzés 3...) : incrédule tout d'abord, la victime de votre vaine tentative d'argumentation risque vite de vous taxer de snobisme, de vanité, de parisianisme, que sais-je encore. En effet, vous rétorquera-t-on, comment des millions de spectateurs, qui se sont précipités dans les salles pour voir un film, pourraient avoir tort tandis que vous et vous seul détiendriez la vérité cinématographique ? Autant l'avouer tout de suite, à moins d'être dans une grande forme ou d'avoir particulièrement envie d'en découdre verbalement tout en sachant que le combat est perdu d'avance, ce pugilat critique est à fuir d'urgence.

A noter qu'en France, un autre sport critique est massivement répandu : celui qui consiste à dénigrer systématiquement toute oeuvre d'art (film, livre, musique, etc.) dès qu'elle commence à rencontrer un succès public. Ce mystère, bien que symétriquement opposé au premier, n'en est pas moins étonnant : pour beaucoup, il semble inconcevable que la réussite artistique d'un projet puisse rimer avec sa réussite économique. Tout film qui remporte un grand succès devient dès lors suspect et se voit frappé d'un anathème : mais j'anticipe, puisque je reviendrai sur ce thème là dans une chronique suivante.

  

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A l'heure où j'écris ce texte, plusieurs mois après avoir vu le film (un tel écart entre la vision d'un film et la rédaction d'un point de vue à son sujet est inédit pour moi sur ce blog), Intouchables dépasse les 19.200.000 entrées, chiffre respectable s'il en est, mais qui se situe à quelques encablures (environ un million) des deux premiers du classement des plus gros succès cinématographiques en France. Occasion d'examiner un peu plus en détail les dix premiers de ce box office sonnant et trébuchant. Nombre de ces dix films ne sont d'ailleurs pas honteux. Titanic semble bien accroché à sa première place : au moment où l'on commémore le centième anniversaire du naufrage du prétendu insubmersible, sort la version 3D du film de James Cameron, que je tâcherai d'ailleurs de (re)découvrir prochainement. Le film de 3h, qui m'avait déjà séduit par sa structure au moment de sa sortie (avec le seul entracte mémorable auquel j'ai assisté de toute ma vie de spectateur, à cause du changement nécessaire de bobine au milieu de la projection), risque bien de me plaire encore une fois, d'autant plus que le réalisateur canadien a souligné, qu'à sa grande surprise, la 3D servait finalement à souligner les scènes intimistes du film plutôt que les séquences à grand spectacle. Je reste plus que circonspect d'ordinaire devant l'usage excessif de cette satanée 3D, dont on nous rebat les yeux, hormis quand James Cameron dirige l'opération : Avatar, pionnier et modèle du genre, atteint d'ailleurs la 10e place du classement, et j'avais longuement indiqué ici même, tout le bien que je pense de ce film.

  

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Au vu de ce palmarès économico-cinématographique, je m'aperçois, relativement amusé, que je fais sans doute partie des rares personnes qui n'ont peut-être pas vu plusieurs d'entre eux, à savoir les dessins animés que sont Les 101 Dalmatiens (9e), Le Livre de la Jungle (8e) et Blanche-Neige et les Sept Nains (4e). A vrai dire, n'ayant jamais été biberonné au Walt Disney intensif durant mon enfance (mon premier Disney en salles a été Le Roi Lion ou La Belle et la Bête), j'ignore même si je les ai vus ou non : j'ai le sentiment que oui, mais cela est peut-être dû au nombre incalculable d'extraits que j'ai sans doute visionnés dans les émissions que je regardais enfant ou aux livres que j'ai pu lire et qui se sont mélangés dans ma mémoire avec les films.

Deux autres films du Top Ten correspondent davantage à ma formation cinématographique télévisuelle. Versant westerns fondateurs du grand mythe américain et mise en scène magistrale, Il était une fois dans l'Ouest de Sergio Leone (7e, je suis agréablement surpris de le retrouver si haut). Versant comédies françaises de la grande époque des Bouvil et De Funès (auxquels j'ajouterais Fernandel à mon panthéon des comédiens du genre), le réellement insubmersible La Grande Vadrouille (5e) qu'il est bon de revoir une fois de temps à autre lors de ses multiples passages télévisés.

  

 
 

Reste deux films que je n'aime pas beaucoup. Gone with the Wind / Autant en emporte le vent (6e) qui, malgré son côté grand classique du 7e art, m'a toujours profondément déplu, à cause du machisme débordant de Reth Butler, de la nunucherie insupportable de Scarlett O'Hara  et du racisme latent général dans lequel baigne le film. Et enfin ce Bienvenue chez les Ch'tis (2e) dont je ne comprendrai jamais le succès et qui avait peiné à me faire décrocher un sourire lorsque je m'étais décidé à le voir (durant une projection gratuite en plein air, bien des mois après la déferlante médiatique).

 

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Immanquable ?

Il existe une multitude de raisons diverses qui peuvent pousser chacun d'entre nous à nous immerger dans les salles obscures pour y découvrir un film. Se changer les idées après une journée de boulot, se détendre pour faire baisser certaines tensions, partager un moment avec des amis, s'instruire en découvrant de nouveaux horizons, se cultiver en se plongeant dans telle ou telle période historique, comparer une adaptation cinématographique au roman dont elle s'est inspirée, observer les nouvelles frontières narratives ou techniques que repoussent les maîtres du cinéma, vouloir connaître de nouveaux cinéastes ou de nouveaux comédiens, etc. Ces raisons sont véritablement multiples et pourtant, c'est la plus mauvaise d'entre elles qui m'a incité, plusieurs semaines après sa sortie, à aller voir moi-même Intouchables. A priori, je n'éprouvais pas la moindre curiosité pour ce genre de projet et strictement rien ne m'attirait en lui : en temps normal, il faisait partie de ce genre de films que j'aurais attendu de voir à la télévision, le genre typique du "film du dimanche soir sur TF1". Ce n'est donc pas vraiment un film que je suis allé voir en salle, mais... un phénomène de société, pour chercher à comprendre ce qui pouvait justifier que des millions de spectateurs s'enthousiasment de la sorte.

  

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Indéniable ?

Son succès commercial l'est, assurément. La salle était bondée lors de la projection à laquelle j'ai assisté mais, à la fin du générique comme aujourd'hui, j'ignore encore pourquoi tant de gens ont aimé ce film plutôt qu'un autre. Oh, ce n'est pas qu'il soit mauvais, loin de moi cette idée. Bizarrement, j'ai même constaté que je riais plus régulièrement que la majorité des gens de la salle où je me trouvais, même si j'ai parfois l'habitude de rire à contretemps de la majorité des spectateurs... S'il s'agit de faire des comparaisons, il est même largement supérieur aux Ch'tis. Mais je ne parviens pas à saisir pourquoi celui-là est sorti du lot ainsi, alors que tant d'autres films mériteraient à mes yeux davantage de sortir de l'ombre à laquelle ils sont condamnés. Reconnaissons toutefois, avant de relever certains passages problématiques, que Intouchables véhicule certains thèmes que, s'ils ne sont pas révolutionnaires, il est malgré tout intéressant de retrouver dans un film grand public, en particulier le refus de la compassion forcée ou du misérabilisme à l'égard du handicap, certaines valeurs de tolérance, de générosité et de fraternité qui ne feront de mal à personne.

  

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Irréprochable ?

Si l'on observe de plus près certains thèmes autres que ces bons sentiments, certains aspects du film ne manquent pas de poser quelques problèmes, cependant. Prenons surtout le regard posé par les réalisateurs sur toute forme d'art sophistiqué. La manière dont le scénario aborde ce point est particulièrement choquante, démagogique et, osons le mot, populiste. Je ne suis pas toujours un défenseur acharné de la peinture moderne, et certaines oeuvres picturales auraient tendance à me laisser pour le moins dubitatif, mais la vision qu'en donne le film est caricaturale et grotesque, tout autant que son dénouement (le profane barbouille vite-fait une toile que son patron vendra ensuite à prix d'or).

Cela pourrait passer pour une faute de mauvais goût sur laquelle nous ne nous attarderions pas, par indulgence, si le film n'enfonçait lourdement et grassement le clou à trois reprises sur ce thème. Toute forme de poésie est d'abord ringardisée à outrance et passe pour un mix entre de la pudibonderie déplacée et de l'affectation éhontée : à ce titre, Driss devient alors le sauveur des coincés, le chantre de la drague décomplexée et pragmatique qui n'a que faire des élans de romantisme ou de finesse. La poésie, au placard, c'est bon pour les ringards ! La sanction est la même pour la musique classique, démontée en une séquence et jugée totalement dépassée et rétro : soyons in, soyons jeunes, soyonscool et déhanchons-nous sur le parquet en glissant et en nous trémoussant au rythme d'un tube branché. Les vinyles classiques, dans l'armoire, c'est bon pour les tocards ! Idem enfin pour l'opéra. Impayable en effet, le type déguisé en arbre qui chante en allemand : on peut alors légitimement se taper sur les cuisses et hurler de rire au milieu des travées en suscitant la sympathie de l'auditoire. L'opéra, au rancart, c'est bon pour les vieillards ! Peinture moderne, poésie, musique classique, opéra, jetez-moi toutes ces vieilleries d'un autre âge aux oubliettes : avouons que, d'un coup, après l'apologie de la tolérance et de la solidarité, le message positif du film en prend un sale coup... alors que l'art est un partage, un échange, qui rassemble les gens et ne les divise pas comme l'illustrent ces séquences.

  

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Irresponsables ?

Poursuivons sur le même ton, même si, dans le domaine que je vais aborder, j'ai bien conscience que je vais sans doute passer pour un réac et un grincheux rétrograde. Si le film ne m'a dans l'ensemble pas déplu, quoi que j'aie pu en dire dans le paragraphe précédent (je n'avais pas placé la barre bien haut et n'en attendais pas grand chose du point de vue de la mise en scène), sa séquence inaugurale (la conduite sur le périph') m'a par contre mis hors de moi d'entrée de jeu. Du point de vue du montage comme de son message, cette scène est totalement inacceptable à mes yeux. Narrativement, elle n'est placée au début du film que dans le but d'introduire le spectateur dans le récit à l'aide d'un passage relativement enlevé et spectaculaire : on la retrouvera plus tard dans le film, quasiment à l'identique d'ailleurs (pourquoi s'embêter et ne pas employer deux fois les mêmes plans, après tout...) Le spectateur est alors bassement invité à s'attacher à deux types qui se soucient du code de la route comme d'une guigne (le spectateur français lambda, qui en fait un sport national, s'attendrira d'un tel comportement), qui font passer les flics pour de sombres crétins (on imagine les soupirs de contentement dans la salle), même s'ils mettent en danger la vie d'autrui. Pas la peine de s'énerver pour autant, ce n'est qu'un film, me direz-vous. Certes, sauf qu'il ne s'agit pas ici de Taxi 27 ou de Fast and Furious 53 mais d'un film qui, voulant jeter un regard différent sur le handicap, se retrouve paradoxalement à faire d'entrée de jeu l'apologie de la violence et de l'inconscience routière. Retrait du permis de filmer !

  

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Invraisemblable ?

Intouchables est dûment estampillé du label imparable "Tiré d'une histoire vraie". Argument définitif contre lequel on ne peut pas lutter et devant lequel le point de vue critique doit s'agenouiller. Le scénario est inspiré du réel, donc au diable les critiques irrecevables. Mais cette mention dans un film est très souvent un cache-misère qui ne parvient pas à dissimuler certaines incohérences magistrales, un film basé sur des faits réels ne garantit pas la crédibilité totale des scènes jouées sous nos yeux. Les scénaristes auront beau clamer que les deux personnages principaux ont réellement existé, certaines séquences n'en demeurent pas moins risibles tant elles sont filmées à gros traits, caricaturales dans leur traitement à l'écran, finissant par transformer une histoire vraie en récit invraisemblable. Citons à l'appui les différents castings des auxilaires de vie où les postulants sont tous plus glauques ou ridicules les uns que les autres, les scènes de drague grotesques de Driss, ou l'impensable scène de "Driss-redresseur-de-torts-face-aux-mafieux" vers la fin du film.

 

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Un vrai mafieux, et les vrais Untouchables 

 

Intouchables ?

Vous l'aurez compris, si je trouve des qualités certaines à ce film, qui n'est pas déshonorant et dont la vision était relativement plaisante, j'y perçois également un certain nombre de défauts qui dépassent les simples reproches habituels que l'on peut adresser à une mise en scène.

Finissons par le début du film, à savoir son titre. Passe encore que je n'en perçoive que très vaguement la signification réelle, même si la définition de ce terme ne caractérise pas vraiment les deux personnages selon moi. Pourquoi pas... Cette dénomination ne sera pourtant doublement jamais associée pour moi à ce duo interprété par Omar Sy et François Cluzet (dont on n'a pas suffisamment parlé dans la presse), mais restera d'abord reliée dans mon esprit au système inique des castes qui continue de régner en Inde, où, par la seule naissance, des personnes sont considérées comme impures et deviennent des parias de la société. Et, cinématographiquement, les vrais Intouchables ou, devrais-je dire, les Untouchables, resteront à jamais pour moi Elliot Ness et sa troupe de choc créée pour lutter contre l'empire du crime d'Al Capone dans le film de Brian de Palma qui a pris en France le titre Les Incorruptibles. Un fauteuil roulant contre un landau, en somme  :)

 

Insupportable ?

Désolé pour ceux qui ont été allergiques à la forme en in-  -able ? prise par ce texte, mais quand je tiens une structure narrative qui me plaît, je ne la lâche plus !  :)

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