Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dernières Séances
28 septembre 2012

Killer Joe, de William Friedkin

Killer-Joe

 

A 77 ans, William Friedkin est toujours bien vert ou plutôt, en l'occurrence, noir anthracite ou noir asphalte. Il y a 5 ans déjà, Bug, son précédent film, était un modèle du genre film claustro, porté par un Michael Shannon impressionnant. A l'instar du futur acteur tout aussi décoiffant de Take Shelter, Matthew McConaughey porte également Killer Joe sur ses (larges) épaules. Sa remarquable prestation, qui rappelle parfois celle de Robert Mitchum dans La Nuit du Chasseur, est réjouissante et maintient les nerfs des spectateurs dans une tension permanente. Une longue séquence finale magistrale, bluffante de bout en bout, alternant violence froide et dialogues taillés finement "au couteau", met particulièrement en avant le talent de ce comédien dont la carrière semblait relativement fadasse au sein de l'industrie hollywoodienne jusque là. Un passage de ce dernier quart d'heure, qu'on pourrait appeler "scène du pilon de poulet", était probablement sur le papier (très sulfurisé !) la séquence la plus casse-gueule qu'on ait vue depuis bien longtemps : il fallait toute l'audace et la subtilité d'un grand acteur, toute la virtuosité et l'assurance d'un grand metteur en scène pour éviter qu'un tel moment n'engendre le ridicule le plus achevé mais traduise magistralement la grande perversion du "héros" de ce thriller vénéneux.

  

Killer-Joe-Movie-Wallpaper-524477

  

En 2010, The Killer inside Me de Michael Winterbottom explorait lui aussi les moeurs dévoyées d'un policier texan du quart-monde de l'Amérique profonde, mais ses explosions de violence poisseuse en plans séquences interminables basculaient souvent dans une fascination du Mal qui laissait perplexe et légèrement nauséeux. Notre Killer Joe, quant à lui, débarque au sein d'une famille décomposée, pour ne pas dire en voie de putréfaction, où la morale a rendu l'âme depuis belle lurette, où l'amour filial ou fraternel ne résistent guère face aux appels du billet vert, où pudeur de la marâtre, dignité du chef de famille ou pureté virginale de la cadette lolycéenne, paraissent des notions bien floues et fragiles dans ce parc à caravanes pouilleux où se situe l'essentiel de l'intrigue : le rêve américain en prend un sacré coup, et même le Cerbère du coin semble totalement incapable de distinguer réellement le Bien du Mal.

  

killer_joe_ver31

  

Si Friedkin évite à plusieurs reprises de sombrer dans le malaise malgré une profusion de scènes scabreuses et/ou violentes, c'est qu'il installe de son côté d'emblée son récit dans une connivence parfaite avec son spectateur. S'il sait faire l'ellipse complète de moments glauques (l'élimination du contrat), il n'hésite pas non plus à repousser à l'extrême les séquences les plus limites, au-delà du concevable (la séquence de séduction de Dottie par Joe). Dès l'apparition en gros plan des boots du Killer, en cuir d'autruche parfaitement lustré, le cinéphile devine que les codes hollywoodiens et les clins d'oeil au genre, dont est truffé ce film, prouvent que William Friedkin n'a pas abandonné son plaisir premier : entraîner son public dans un récit imaginaire et tenter de rendre celui-ci vraisemblable en dépit de la collection la plus hilarante (ou stupéfiante, selon l'humeur) de personnages franchement barrés qu'on ait eu l'occasion de voir sur un écran depuis un moment, lui faire côtoyer une galerie de spécimens peu ragoûtants de l'espèce humaine, en plongeant dans la noirceur gluante de ces âmes perdues tout en restant constamment présent à l'écran à travers sa mise en scène décalée pour nous murmurer à l'oreille avec un ton amusé "Ce n'est que du cinéma". Et c'est tout juste si l'on entend pas son grand éclat de rire quand la dernière image de son film, sortie d'un film d'horreur burlesque, s'efface sous notre regard interloqué.

 

Killer-Joe-1-008

Publicité
Publicité
Commentaires
Dernières Séances
  • Autobiographie en films. Une bonne critique de film nous en révèle souvent autant sur son auteur que sur le film lui-même : mes textes parlent donc de mes goûts cinématographiques, de ce qui me construit au cinéma, mais aussi de... moi. Bienvenue !
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 32 099
Publicité