Le Soldat Dieu, de Koji Wakamatsu
Festival Ciné 32 - Vendredi 15 octobre, 17h
Koji Wakamatsu est un cinéaste japonais aussi prolifique qu'inconnu en Occident jusqu'à présent, même si des rééditions de quelques-unes de ses précédentes oeuvres semblent s'annoncer. Il paraît tourner à un rythme plus rapide encore que Clint, en privilégiant les prises uniques et en portant même cette technique comme un étendard et une marque de fabrique. Wakamatsu a tourné son Soldat Dieu en simplement douze jours, avec deux jours d'avance sur un planning pourtant déjà très court, ce qui semble ahurissant au vu du résultat final : iconoclaste et pince-sans-rire, il justifie l'absence de répétitions pour les techniciens comme pour les acteurs en précisant que "Si vous tuez quelqu’un, vous n’avez pas besoin de beaucoup d’entraînement, non ? Vous n’avez besoin que de vous concentrer. Ici c’est la même chose. Quand vous ne vous laissez qu’une seule chance, vous n’avez pas besoin de répétition." Logique implacable s'il en est !
Ce réalisateur hors normes est aussi un infatigable militant pacifiste, ce qui le rend naturellement d'emblée sympathique. Sa farouche opposition à la guerre ne passe pas vraiment inaperçue dans le postulat de son dernier film, où il ne va pas par quatre chemins pour asséner sa position. Le Soldat Dieu est majoritairement un huis-clos situé dans un village retiré du Japon, au coeur de multiples rizières, durant la guerre qui a opposé le Japon à la Chine en 1940. La vision des combats est très parcellaire, à travers des retours en arrière d'une violence visuelle qui tranche avec le calme apparent qui baigne ce village à l'arrière. L'attention du cinéaste se porte sur un lieutenant, renvoyé chez lui après avoir perdu à la fois les bras et les jambes au combat, et l'essentiel de l'intrigue se noue dans le bouleversement de l'intimité du couple qu'il formait jusque là avec sa femme.
Dès les premières images, qui évoque un peu une esthétique de téléfilm cheap, l'économie de moyens avec laquelle travaille Wakamatsu est flagrante mais rapidement dépassée par la force du propos et la vitalité du réalisateur, par l'énergie qu'il déploie pour dénoncer toutes les dérives d'un système patriotique déifiant les héros militaires, que ceux-ci soient réels ou imposteurs (les flashbacks qui vont progressivement mettre en lumière les exploits guerriers du soldat tronc évoquent parfois un procédé similaire employé dans Les Proies de Don Siegel). Le Soldat Dieu est un véritable coup de poing cinématographique, un film quasiment inconcevable, une sorte de Johnny s'en va-t-en guerre dans l'Empire des Sens, rien moins que cela ! Wakamatsu ose souvent l'impensable, repousse les limites du spectateur en créant une atmosphère totalement oppressante dans la seconde moitié de son film. Le Soldat Dieu est un brûlot contre la guerre, certes, mais aussi une puissante oeuvre féministe et, par dessus tout, une découverte cinématographique étonnante.